Si face aux grands enjeux contemporains liés au dérèglement climatique et à l’évolution des modes de vie, nombre de jeunes architectes promeuvent une action locale, frugale et faite de réemploi, à grand renfort d’humilité, les « starchitectes » ont la vie dure : on ne jure encore que par leur nom.

Les « starchitectes » [mot-valise pour architectes stars] sont nés avec la mondialisation quand les architectes, habituellement confinés dans leur pré carré national, ont vu s’ouvrir de vastes nouveaux marchés, de la Russie pré-Poutine à la Chine pré-Xi Jinping. Ceux de pays émergents allaient suivre. L’architecture a été de tout temps la plus prestigieuse représentation du pouvoir et de la richesse, or les nouveaux conquérants avaient du retard dans l’expression d’une architecture contemporaine et manquaient de savoir-faire. Des architectes audacieux se sont alors fait remarquer et furent bientôt connus par leur nom : Christian de Portzamparc (né en 1944), Tadao Ando (né en 1941), Renzo Piano (né en 1937), Richard Rogers (1933-2021), Rem Koolhass (né en 1944), Jean Nouvel (né en 1945), etc.
En 1979, Jay Pritzker a créé à Chicago le prix qui porte son nom, devenu une référence en matière d’architecture – considéré comme le prix Nobel d’Architecture. Le Pritzker récompense l’architecte – uniquement des hommes, jusqu’à Zaha Hadid (1950-2016) en 2004 – ayant montré à travers ses projets et réalisations « les différentes facettes de son talent ». Le talent est donc parfaitement identifié in persona. Il en est de même pour le Grand Prix national d’Architecture en France qui, depuis 1975, honore en son nom propre le talent d’un homme, plus sûrement d’ailleurs que celui d’une femme, la France ayant encore plus de retard que le prix Pritzker sur ce sujet. Durant ces années de félicité, l’architecture, au-delà du nom des architectes, portait en elle des vertus sociales spectaculaires. Soudain, par l’audace d’un seul homme de l’art, l’image d’un quartier, voire de toute une ville, était transformée, qu’il s’agisse du Centre Pompidou à Paris (Renzo Piano et Richard Rogers) ou du Musée Guggenheim à Bilbao (Frank Gehry) ou du Reichtag de Berlin (Norman Foster). D’où l’idée d’un grand œuvre universel consacré au bien commun dont l’architecte devenait, instantanément ou presque, une « star », avec une visibilité accrue auprès du grand public. En réalité, trente ans plus tôt, ces talents existaient déjà mais, plutôt que stars, les architectes étaient alors appelés « maîtres ». Ainsi d’Ieoh Ming Pei (1917-2019) lorsque sa pyramide du Louvre fut inaugurée le 29 mars 1989 par François Mitterrand. Aujourd’hui, à l’heure de la création d’une nouvelle entrée au Louvre, le lauréat de ce concours international d’architecture, qui devrait être connu à la fin de l’année, deviendra-t-il à son tour une star mondiale ? Sera-t-il choisi sur son nom ?

Est-ce la fin des « starchitectes » ? Certes, ceux qui le sont devenus à partir des années 1990 ont vieilli. Mais surtout, les agences étoilées – anglo-saxonnes pour la plupart mais aussi au Japon, aux Pays-Bas et en Norvège –, transformées en multinationales du design se sont mises à couvrir le monde entier de leur modèle unique de béton et de verre, maquettes idéologiques, voire impériales, à l’échelle 1. Au détour des années 2000, ce modèle « foin du contexte » est apparu de plus en plus anachronique au regard des nouvelles angoisses nées du dérèglement climatique et des enjeux écologiques liés au bâtiment et à l’urbanisme… Pour autant, encore aujourd’hui, de nouvelles métropoles sortent de terre en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique à des vitesses et des hauteurs vertigineuses tandis que quelques musées et ouvrages remarquables sont encore confiés à des « stars », des artistes en somme, pour le business des cartes postales. En 2003, Daniel Libeskind (né en 1946) gagnait le concours du nouveau World Trade Center, faisant de lui une star mondiale. Le même Libeskind, en février dernier, remporte le « concours mondial d’architecture » pour transformer le quartier Léon Blum d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). De la Grosse Pomme à André Santini (maire d’Issy-les-Moulineaux), la notoriété compte. Les villes continuent de vouloir être associées à de grands noms dans leurs projets architecturaux. Aux dépens peut-être des aspirations plus écologiques de leurs habitants. D’ailleurs en Grèce, à Hellinikon, au sud d’Athènes – dans un pays qui a de l’eau en abondance comme chacun sait ! –, l’agence britannique Foster + Partners construit une tour de 200 mètres de haut avec piscine à tous les étages. Les « starchitectes » ont donc de beaux restes.
L’agence Zaha Hadid Architects figure encore dans le top 30 des agences mondiales alors que sa fondatrice est décédée depuis 2016, la firme produisant désormais une forme de pastiche post-mortem de son œuvre. En France, après Jean Nouvel et Christian de Portzamparc, qui ne sont pas immortels, quelle relève sera capable de rester au niveau mondial ? Des agences certes parviennent à ne pas s’enfermer autour du nom. Ainsi Richard Rogers Partnership, fondé en 1977, est devenu Rogers Stirk Harbour + Partners en 2007 et RSHP en 2022, après le départ à la retraite et le décès de Richard Rogers en décembre 2021. Cette anonymisation permet certainement de faire des affaires plus que de l’architecture. Richard Rodgers, jeune homme, réalisait Beaubourg ; RSHP construit des aéroports. La notion de transmission est un facteur de cette évolution : il semble plus difficile de profitablement léguer une agence dont l’identité est fondée sur le seul nom de son créateur. Mais, comme en témoigne l’exemple à Issy-les-Moulineaux, les maîtres d’ouvrage publics et privés, et avec eux le public, les médias, les réseaux sociaux, préfèrent toujours avoir affaire à un interlocuteur de prestige dont l’aura rejaillit sur tous plutôt qu’à un illustre inconnu.
Toutefois, face aux excès de gourmandise des architectes stars – et par définition, les stars sont excessives –, la notion de collectif dans le domaine de l’architecture a fini par s’imposer parmi les jeunes générations d’architectes qui, à l’inverse de leurs aînés, ne nomment plus leurs agences de leur patronyme mais plutôt d’un sigle ou d’un acronyme, généralement avec beaucoup de A (architecture/architecte) et de plus en plus de U (urbanisme/urbaniste). Cette évolution s’est traduite en 2017 quand le prix Pritzker a été attribué, à la surprise générale, à l’agence espagnole RCR, créée depuis une trentaine d’années par Rafael Aranda (né en 1961), Carme Pigem, (née en 1962) et Ramon Vilalta (né en 1960). Ce choix illustrait une nouvelle tendance à la nostalgie, au régionalisme, voire au localisme et, pour citer Francis Kéré (Pritzker 2022), à utiliser « ce qui est sur place, naturel et économique », dont le discret Australien Glenn Murcutt (Pritzker 2002) fut un précurseur. Ce prix semblait donc en 2017 mettre fin aux certitudes de l’architecture internationale occidentale. Comme si, face à la brutalité des défis du monde à venir, l’évocation d’une ruralité bienveillante et d’un retour aux racines, même fantasmées, offrait une forme de garantie, une « réponse merveilleusement rassurante », pour citer le jury. Cependant, le prix Pritzker est vite revenu à ses fondamentaux : cette distinction par elle-même propulse généralement le récipiendaire au rang de star, du Chinois Wang Shu (né en 1963), lauréat 2014, jusqu’au Burkinabè Francis Kéré (né en 1965), récompensé en 2023. L’effet n’est parfois pas garanti : l’agence française Lacaton & Vassal, lauréate en 2021, n’est pas rentrée pour autant dans le top 50… Puisqu’il est question de responsabilité, notons que l’avenir des « starchitectes » passe peut-être par les femmes. Comme le métier est pour elles particulièrement difficile d’accès – une majorité d’étudiantes, une minorité de cheffes d’entreprise –, elles ont tendance, comme avant elles Zaha Hadid, à se distinguer en leur nom propre plutôt qu’avec un nom commun. Rien qu’en France, nous pourrions en citer beaucoup (Brigitte Metra, Maud Caubet, Françoise Reynaud, Anne Démians, Corinne Vezzoni, Odile Decq). Ce sont elles qui portent aujourd’hui l’étendard de l’architecture en leur nom propre et ne se cachent plus. À Londres, le pavillon Serpentine 2025 accueillera une œuvre de l’architecte bangladaise Marina Tabassum (née en 1968) intitulée A Capsule in Time (du 6 juin au 26 octobre 2025). Cela ne fera peut-être pas encore d’elle une star mais, pour ceux qui ne la connaissent pas, ils sauront son nom.
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La fin des architectes stars ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°784 du 1 avril 2025, avec le titre suivant : La fin des architectes stars ?