Frac

La culture à la lueur du Japon

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2012 - 709 mots

Kengo Kuma répand ses lumières sur la Cité des arts et de la culture
de Besançon qui devrait voir le jour fin 2012.

BESANÇON - L’Empire (du Soleil-Levant) contre-attaque. Ou plutôt attaque. Depuis quelques années déjà, les architectes japonais – et non des moindres – ont fait de la France l’un de leurs terrains de jeu favoris, et notamment pour ce qui concerne leurs expériences d’architectures culturelles.

Qu’on en juge : Shigeru Ban pour le Centre Pompidou-Metz, l’agence Sanaa pour le Louvre-Lens, Kengo Kuma pour les Frac (Fond régional d’art contemporain) de Besançon et de Marseille, sans oublier Tadao Ando pour la Fondation Pinault avant que François Pinault n’abandonne Boulogne-Billancourt au profit de Venise, et Toyo Ito pour le Frac de Picardie à Amiens projet gagné en 2004 et abandonné en 2005 pour d’obscures raisons « techniques «… Ban, Sanaa, Kuma, Ando, Ito, quintette majeur ! D’où vient donc cet engouement pour l’architecture japonaise au cœur de la commande culturelle officielle française ? Sans doute, peut-être, du fait que les espaces culturels sont devenus, au fil du temps, des sortes de lieux de culte et que les Japonais, maniant avec aisance les notions de sacré, de méditation, de recueillement, répondent parfaitement à cette nouvelle idéologie de la consommation culturelle… Qu’en est-il de Kengo Kuma à Besançon avec son projet pour la Cité des arts en cours de chantier ? À l’évidence, les jeux de lumière qu’il y organise, la confrontation entre les pleins et les vides qu’il exploite à satiété valent bien ceux mis en œuvre, voici précisément 770 ans, par Pierre de Montreuil à la Sainte-Chapelle de Paris. « Je veux effacer l’architecture. C’est ce que j’ai toujours voulu faire et il est improbable que je change jamais d’avis «, a coutume d’affirmer Kuma. Lequel manifeste à chaque projet (Musée Kanagawa, Reposoir de Toyoura, Ando Museum à Hiroshige, Suntory Museum of Art, tous au Japon ; Great [Bamboo] Wall House à Pékin, au pied de la Grande Muraille) son refus des académismes et des formalismes, ainsi que son ambition de s’emparer de la tradition japonaise et de la réinterpréter pour mieux la basculer au XXIe siècle.

Clairs-obscurs
Ainsi, à Besançon, sur les bords du Doubs, posé sur une ancienne friche portuaire, au pied de la citadelle de Vauban, le long bâtiment alterne pleins et vides, ombre et lumière, mémoire et projection. La Cité des arts se déploie sous une longue toiture ondulante que scandent pixels de végétation, d’aluminium, de verre, de bois et de panneaux photovoltaïques. Récupérant un ancien bâtiment tout de briques, Kuma l’enserre dans son architecture, confrontant les traces du temps et son écoulement.

Deux entités, séparées par un vaste vide nommé « passage des arts «, se partagent un ensemble de 11 000 m2 (pour un budget total de 46,4 millions d’euros : une performance). Le Conservatoire à rayonnement régional (CRR) qui y accueillera ses 1 400 élèves dans 80 salles d’enseignement et un auditorium de 290 places ; le Frac avec ses deux salles d’exposition (500 m2 et 100 m2), sa salle de conférence et ses espaces de documentation. Une brasserie et une boutique viendront compléter l’ensemble. Plus spécifiquement, le Frac sera enfin en mesure, comme le souligne sa directrice Sylvie Zavatta, d’exercer entièrement ses missions de sensibilisation des publics, de documentation, de soutien à la création et de diffusion, et naturellement, d’abriter, gérer, développer sa collection qui compte dorénavant près de 500 œuvres, de plus de 250 artistes – parmi lesquels Marina Abramovic, Valérie Belin, Christian Boltanski, Alain Bublex, Claude Closky, Cyprien Gaillard, Bertrand Lavier, Thomas Ruff, Sarkis, Xavier Veilhan, Jean-Luc Vilmouth… Une collection très orientée sur la question du temps et l’exploration de la durée ; belle adéquation avec la philosophie de Kengo Kuma, en parfaite résonance avec Besançon qui fut longtemps la capitale française de l’horlogerie, avant de se distinguer aujourd’hui par sa maîtrise des microtechniques et nanotechnologies. Depuis l’autre rive du Doubs, l’architecture de Kengo Kuma se déploie comme une longue partition musicale dont les scansions (bois et verre alternés) sont verticales pour le Conservatoire et horizontales pour le Frac. S’y lisent toujours ces jeux d’ombre et de lumière, de pleins et de vides qui font irrésistiblement penser à Éloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki (éditions Publications orientalistes de France, 1977).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : La culture à la lueur du Japon

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