Le Printemps de Septembre, à Toulouse, explore avec « Lignes brisées/Broken lines » un univers fait de frontières, d’exclusion et de transgression.
TOULOUSE - Après « In extremis » et « Vertige », en 2004 et 2005, et avant de laisser la place à Jan Debbaut (1), Jean-Marc Bustamante achève à Toulouse sa trilogie pour le Printemps de septembre avec « Lignes brisées/Broken lines ». Cette édition, construite avec les commissaires Pascal Pique et Mirjam Varadinis, ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire du festival. La manifestation a souvent exploré des questions d’esthétique, de théorie ou de philosophie de l’art, en particulier dans son volet 2005 pensé, entre autres, par Jean-Pierre Criqui. L’édition 2006 déplace son champ d’expérimentation pour interroger, avec les artistes, les évolutions de nos sociétés, leurs fractures, les gouffres qui se créent parfois, les blessures aussi. Festival urbain, le Printemps de septembre ne pouvait passer sous silence les violences qui ont embrasé les banlieues à la fin de l’année dernière. Ces événements, largement relayés par les médias à l’étranger, ont aussi frappé la Zurichoise Mirjam Varadinis, qui écrit dans le catalogue : « Le monde d’aujourd’hui est marqué par un sentiment d’insécurité – au point de vue tant social et politique qu’économique. Après une phase d’euphorie dans les années 1990, après la chute du mur de Berlin et une période de détente et de désarmement, la situation a changé du tout au tout ces dernières années, particulièrement depuis le 11 septembre 2001. Des guerres controversées sont menées au nom de la démocratie et des hommes sont tués dans des attentats terroristes d’une grande brutalité. […] L’équilibre social est perturbé en maints endroits et les tensions qui en résultent conduisent à des soulèvements et à des violences – comme récemment en France. »
Cette violence apparaît souvent en filigrane dans les œuvres ici présentées. À l’espace Croix-Baragnon, la Néerlandaise Lonnie van Brummelen explore dans un film 35 mm, Grossraum, trois frontières situées aux confins de l’Union européenne, entre la Pologne et l’Ukraine, le long de la ligne verte à Chypre ou autour de l’enclave espagnole de Ceuta au Maroc. Ces zones de transition nées de conventions sont synonyme d’exclusion et de rejet de l’autre. À l’hôtel-Dieu, qui vient s’intégrer pour la première fois au parcours, l’Allemand Julian Rosefeldt revient justement dans une saisissante installation vidéo multi-écrans sur ces « autres » qui ont franchi les frontières, les demandeurs d’asile (Asylum, 2001). Dans des mises en scène parfois un peu trop esthétisantes, n’hésitant pas à convoquer le kitsch, ces films montrent des travailleurs étrangers employés à leurs tâches quotidiennes, du ménage à la manutention de journaux. Aux Abattoirs, Alex Hanimann joue également de la notion de frontière en lâchant des oiseaux dans deux espaces identiques mais l’un peint en bleu et l’autre en rouge. Sans que l’on puisse y déceler un message politique, tous les volatiles ont déserté le rouge pour le bleu…
Reflets du chaos
Au Château d’eau, Olivier Blanckart libère les femmes algériennes de l’oppression en les dévoilant, au sens premier du terme, alors que la famille des Flactif se dévoile, au sens figuré, au sous-sol. Maîtrisant l’architecture et ses effets, l’artiste signe ici l’une des installations les plus réussies du festival. La violence est encore présente aux Jacobins avec les voitures accidentées de Sarah Lucas, une artiste rarement exposée en France ; ou aux Abattoirs dans le film Be The First To See What You See As You See It (2004) de Runa Islam, un petit chef-d’œuvre par sa scénographie simple et esthétique d’une transgression.
Le Printemps permet aussi des retrouvailles, ainsi avec Cathy de Monchaux, ou encore Anish Kapoor, dont l’installation présentée a déjà beaucoup circulé en Europe.
Sortant du musée pour s’ouvrir sur la ville et ses habitants, le Printemps de septembre s’aventure jusque dans l’espace public grâce aux motifs peints par Peter Kogler sur un pont enjambant la Garonne, ou ses projections de rats qui courent la nuit le long des berges. Un autre écho au chaos du monde.
(1) lire le JdA no 243, 22 sept. 2006, p. 6.
- Directrice du festival : Marie-Thérèse Perrin - Directeur artistique : Jean-Marc Bustamante - Commissaires des expositions : Pascal Pique et Mirjam Varadinis - Nombre d’artistes : 32 - Nombre de lieux : 10
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À la croisée des mondes
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 15 octobre, divers lieux, Toulouse, tél. 05 61 21 05 47, www.printempsdeseptembre.com, lundi-vendredi 12h-19h, samedi-dimanche 11h-19h. Catalogue, 200 p., 15 euros, ISBN 2-84066-186-1.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°244 du 6 octobre 2006, avec le titre suivant : À la croisée des mondes