Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci... la carte postale de Gérard Fromanger.
Fétiche - Cofondateur des Ateliers des beaux-arts de Paris en Mai 1968, d’où sont sorties des milliers d’affiches soutenant la lutte des étudiants et des ouvriers, chantre de la Figuration narrative posant un regard acide sur la société de consommation, Gérard Fromanger a une réputation de peintre engagé. Mais la poésie et la philosophie nourrissent avant tout son œuvre. Jacques Prévert l’a soutenu dès ses débuts dans les années 1960, et il a entretenu une forte amitié avec Gilles Deleuze et Félix Guattari. Ses compositions en aplats de couleurs vives, traversées par des silhouettes anonymes, souvent des foules, parlent à chacun d’entre nous. Une peinture pop tendance politique mais à usage métaphysique. Pour quelle image ? : « Si la peinture ne l’emporte pas, ça ne sert à rien d’être peintre, autant être journaliste, propagandiste ou historien », déclare-t-il. Le loft qui lui sert d’atelier, près de la place de la Bastille à Paris, est baigné d’une douce lumière. Collée sur un petit pan de mur avec un simple scotch figure une carte postale aux couleurs passées qu’il présente comme son objet fétiche : « Elle m’a été envoyée, il y a une quarantaine d’années, par un conservateur du Louvre pour ses vœux. Elle représente un fragment de la stèle de la Dame Tapéret qui se trouve au département des Antiquités égyptiennes. On y voit, en gros plan, le visage de la déesse Nout face à un rond rouge, celui-là même qu’on retrouve de temps à autre dans mes toiles. Il s’agit du soleil… » Et de narrer la jolie légende attachée à cette déesse du ciel : « Elle avale le soleil le soir et le recrache le matin. Admirable métaphore du cycle du jour et de la nuit ! » Semblant penser tout haut, l’artiste poursuit : « Finalement, toutes mes idées de séries de tableaux me viennent d’une phrase, d’un mot ou d’une formule, entendus ou pensés, qui, pour une raison ou une autre, ont fait tilt. Par exemple, la suite de peintures intitulée Sens dessus dessous correspond à la réponse que j’ai faite à un ami qui, pendant que je traversais une période difficile, m’a demandé comment je me sentais. Celle ayant pour titre, Le cœur fait ce qu’il veut, m’a été inspirée par la réflexion d’un jeune médecin commentant avec bienveillance mon électrocardiogramme capricieux. Quant à mon premier soleil réalisé en 1966 (Le Soleil-monde), une toile dans laquelle une grande sphère jaune « dégouline », il m’a été suggéré alors que je marchais dans la rue et qu’en voyant toutes sortes de liquides couler sur un trottoir, je me suis dit : “Ça dégouline !” » Depuis, cette forme ronde est réapparue en rouge, bleu, jaune, dans des productions des années 1980 et, en 2015, dans deux toiles (Peinture-monde, bleu outremer clair et Peinture-monde Carbon Black) montrant l’astre se démultiplier, pour la première autour de passants, et, pour la seconde, autour d’un canot rempli de migrants. Hasard ? Gérard Fromanger expose actuellement au Musée Marmottan Monet dans la nouvelle salle réservée à l’art contemporain. Il en inaugure la formule selon laquelle l’artiste invité produit ou propose des œuvres qui font écho à celles figurant dans la collection. Un sourire en coin, il dit : « Mon premier réflexe a été de créer une toile à partir de celle de Monet Impression soleil levant ! » Le Soleil, toujours… Gérard Fromanger le regarde inlassablement se lever et se coucher lorsqu’il se trouve en Toscane où il possède une maison perchée sur une colline et ouvrant à 360 degrés sur l’horizon : « Le soleil et son énergie assurent la vie sur terre ! Sans lui, pas de couleur. Et donc pas de peinture ! »
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La carte postale de... Gérard Fromanger
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°722 du 1 avril 2019, avec le titre suivant : La carte postale de... Gérard Fromanger