La 3e Biennale itinérante d’art contemporain de Thaïlande se tient dans le nord du pays, avec une heureuse mise en réseau d’artistes.
Chiang Rai (Thaïlande). Conçue par une équipe intégralement thaïlandaise, la 3e édition de la Biennale d’art contemporain de Thaïlande est emmenée par l’artiste Rirkrit Tiravanija et la commissaire Gridthiya Gaweewong, tous deux co-directeurs artistiques, soutenus par deux autres commissaires, Angkrit Ajchariyasophon et Manuporn Luengaram. Elle rassemble une soixantaine d’artistes venus d’une vingtaine de pays, dont la France. À l’instar de Manifesta à l’échelle européenne, cette Biennale itinérante est passée par les provinces de Krabi au sud en 2018, puis Nakhon Ratchasima (Korat) à l’est en 2021. Cette édition intitulée « The Open World » est la plus aboutie, grâce à son déploiement au cœur de l’écosystème culturel de la province de Chiang Rai, au nord du pays, dont l’histoire séculaire est aussi riche que singulière par rapport au reste du pays. Financée principalement par le gouvernement thaïlandais, son intérêt repose également sur les manifestations satellites de mécènes privés, comme le pavillon réservé à la jeune création du MAIIAM, musée co-fondé par l’ancien antiquaire français Jean-Michel Beurdeley à Chiang Mai en 2016.
Présentée dans l’enceinte du parc culturel de Mae Fah Luang, The Wind Harvestors (2023) est une nouvelle « œuvre-instrument » de l’artiste franco-libanais Tarek Atoui (né en 1980). Tel un rhizome, sa structure de pipelines en bambou est connectée à un système de ventilation soufflant dans différents instruments de musique et autres objets vernaculaires, fixés tels des boutures. Inspiré du système d’irrigation des rizières de la région, l’artiste a également collaboré avec des musiciens Akha et Lisu, deux ethnies vivant dans les régions montagneuses, de la Thaïlande et au sud de la Chine.
Sur le même site, d’autres œuvres se fondent dans le décor, comme Sound-Less (Riseiyng) (2023), une installation sonore interactive de l’artiste vietnamienne Nguyen Trinh Thi (née en 1973) qui résonne au cœur d’un ancien pavillon en tek, ou Inner Light – Chiang Rai Rice Barn (2023, voir ill.) de Ryusuke Kido (né en 1963), une ancienne grange à riz trouvée sur place et sculptée telle un bas-relief. L’installation de l’artiste japonais restera d’ailleurs sur le site après la biennale, preuve de sa pertinence dans l’environnement local.
Réalisée avec le soutien de l’ambassade de France en Thaïlande, Pluviality #1 (2023), l’installation vidéo de Kader Attia (né en 1970), s’inscrit dans la même veine. L’artiste français y explore les remparts de l’ancienne cité de Chiang Saen, située à l’extrême nord de la province sur la rive du Mékong, face à la frontière laotienne. L’œuvre est présentée au musée national de la ville, à deux pas des fortifications.
Cet intérêt pour la vidéo se retrouve au fil des 17 sites de la Biennale, et la présence notable de Pierre Huyghe, Ho Tzu Nyen, et Apichatpong Weerasethakul. Ce dernier présente trois créations dont A Conversation With the Sun (VR) (2023), œuvre hybride intégrant la réalité virtuelle, et Solarium (2023, voir ill.), installation vidéo inspirée de Phee Ta Boh, film d’horreur thaïlandais de 1981. Présent sur place, l’artiste a fait part d’un projet en cours avec le Centre Pompidou ainsi que d’une collaboration avec Haegue Yang, qui sera présentée à Naoshima au Japon l’été prochain. L’artiste coréenne (née en 1971) s’inscrit également dans la Biennale avec deux séries d’œuvres inspirées par les « Toong », longs drapeaux traditionnels issus de la culture Lanna, ancien royaume fondé au XIIIe siècle au nord de la Thaïlande.
On retrouve l’approche endogène dans le titre de la Biennale, « The Open World », inspiré par la posture d’une image du Bouddha enchâssée dans le Wat Pa Sak, un ancien temple de Chiang Saen, célèbre pour sa synthèse de styles architecturaux. La réussite de cet ancrage à la fois vernaculaire et réticulaire repose sur l’expertise locale de l’équipe de direction artistique, et notamment de Gridthiya Gaweewong, originaire de Chiang Rai.
Parallèlement, la Biennale tend à répondre à l’« esthétique relationnelle », telle qu’elle a été formalisée, dans les années 1990, par Nicolas Bourriaud – co-directeur du Palais de Tokyo au début des années 2000. Ernesto Neto, Pierre Huyghe et Tobias Rehberger, inclus dans cette Biennale aux côtés de Rirkrit Tiravanija, son co-directeur artistique, comptent parmi les artistes qui ont inspiré le concept. La programmation étend cette orientation à d’autres artistes qui mettent l’accent sur la participation et l’interactivité (Shimabuku, Tomás Saraceno, Hsu Chia-Wei), les collaborations in situ (Michael Lin, Poklong Anading, Wang Wen-Chih), l’inclusion du patrimoine immatériel (Citra Sasmita, Busui Ajaw, Tcheu Siong), la performance (Maria Hassabi, Korakrit Arunanondchai, Movana Chen) et l’organisation en collectifs d’artistes (All(zone), Baan Noorg).
La prochaine Biennale de Gwangju intitulée « Pansori, A Soundscape of the 21st Century », sous la direction de Nicolas Bourriaud, offrira peut-être une extension supplémentaire, fort de la réception du concept d’esthétique relationnelle en Extrême-Orient, qui, de la Corée du Sud à la Thaïlande, en passant par le Japon, la Chine et Taïwan, demeure moins controversé qu’en France.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : La Biennale de Thaïlande sort des sentiers battus