Faute de financements, la manifestation n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Construite autour du vide, sa présente édition tente de faire avancer le débat
SÃO PAULO. Depuis sa fondation en 1951, la Biennale de São Paulo est devenue la plus importante exposition internationale d’art contemporain d’Amérique latine. Mais des années de scandales liés à la corruption et un manque chronique de ressources menacent son avenir. Ainsi, sa 28e édition (jusqu’au 6 décembre) est moins une exposition d’art qu’un colloque sur la biennale et son devenir. Le programme tourne principalement autour de conférences et de performances passant en revue l’histoire et le potentiel des biennales. Si l’intention vise à sauver une manifestation défaillante, la poignée d’œuvres exposées à cette biennale semble plutôt figurer son lit de mort.
« Un grand doute plane », estime le marchand de São Paulo Daniel Roessler, qui remarque que « le nombre de visiteurs étrangers s’est effondré ». Alors que vingt délégations de musées avaient visité sa galerie lors de l’édition 2006, il n’en espère que deux ou trois cette année. La biennale est gérée par une fondation privée qui doit lever des fonds à chaque édition. Elle s’appuie sur les subventions de la Ville, de l’État de São Paulo, du gouvernement fédéral brésilien et du secteur privé, sans toujours les percevoir effectivement. En 2000, l’absence de fonds avait conduit au report de la biennale à 2002, précipitant la démission de membres de sa direction et de son commissaire général, Ivo Mesquita, alors directeur du Musée d’art moderne de São Paulo. Des scandales ont entamé la confiance des entreprises mécènes, aggravant la situation. Son président de l’époque, Edemar Cid Ferreira, a été condamné en décembre 2006 à 21 ans de prison pour fraude bancaire. Le président actuel, Manoel Francisco Pires da Costa, a recruté sa femme en tant qu’architecte paysager pour les jardins entourant le pavillon de la biennale, et mis à contribution l’équipe de la biennale pour éditer le magazine d’une société dont il est copropriétaire. L’an dernier, à la suite d’un audit gouvernemental, il a été réprimandé mais tout de même réélu par les administrateurs.
Les commissaires et l’équipe de la biennale 2006 n’ont été payés que des mois après la fin de l’exposition, et le catalogue n’a été que récemment imprimé. Les commissaires Paulo Herkenhoff, Adriano Pedrosa et Solange Farkas, entre autres, auraient refusé de participer à la 28e biennale. Ivo Mesquita, aujourd’hui conservateur de la Pinacoteca do Estado de São Paulo, a, lui, accepté le rôle de commissaire général à l’automne 2007. Il nous confiait alors qu’il pourrait organiser ses six semaines d’exposition pour 11 à 14 millions de réaux, bien moins que les 28 à 35 millions de réaux qu’avait coûtés la 27e édition. Mais il n’a reçu finalement que 8 millions de réaux (2,73 millions d’euros), à peine le tiers du budget de la Biennale de Venise 2007. Aussi, a-t-il proposé un projet conceptuel autour des problèmes structurels chroniques de la biennale, sous forme de conférences et de performances. Le principal espace d’exposition de la biennale, le premier étage de 250 m du pavillon conçu par Oscar Niemeyer, a été laissé vacant. Surnommée « Le Vide », cette non-exposition a été condamnée par des artistes qui accusent Ivo Mesquita de les priver d’exposition. Mais le commissaire brésilien, Moacir dos Anjos, dans le quotidien Folha de São Paulo, a qualifié le pavillon vide de « métaphore expressive de la crise que traverse actuellement l’institution ».
Sauvetage des projets
L’exposition comprend vingt-cinq artistes étrangers et quinze Brésiliens, et la fondation a eu du mal à financer leurs projets. Six semaines avant l’inauguration, le président Pires da Costa imposa une coupe de 40 % du budget. Ivo Mesquita répondit par un email plaidant pour le sauvetage des projets en cours. « Nous nous battons pour préserver l’intégrité du programme », déclarait-il dans ce message, publié grâce à une fuite dans le Folha de São Paulo du 27 septembre. Le président répliqua via le quotidien que « l’intégrité du programme initial de l’exposition est et a toujours été l’objectif final des deux parties », et qu’aucune « coupe… ne mettrait son intégrité à mal ou en danger ». Il révélait également que seule une moitié du budget de 8 millions de réaux était assurée : la fondation comptait sur l’attribution de 3,6 millions de réaux par le ministère de la Culture, mais ce dernier n’a versé ses subventions de 2007 qu’en 2008, et la crise économique rend ces versements incertains. Les fonds actuels proviennent d’environ six mécènes (dont 1 million de réaux – 336 000 euros – de Petrobras), la ville de São Paulo, les subventions 2007 du gouvernement fédéral, et les agences culturelles de gouvernements étrangers. Mais selon un porte-parole, les coupes de dernière minute étaient nécessaires pour ramener les dépenses dans les limites du budget prévu, dépassé par le programme du commissaire.
L’ancien président de la biennale, Julius Landmann, a confié au Folha de São Paulo que des restrictions budgétaires de dernière minute ont frappé six des huit biennales auxquelles il a participé. Le gouvernement fédéral et l’État de São Paulo n’a pas encore versé leurs subventions en 2008. « Les gens ne sont pas sûrs que les responsables de la biennale utilisent les fonds à bon escient », déclare le marchand Daniel Roessler.
28e Biennale de São Paulo, jusqu’au 6 décembre, Pavillon Ciccillo Matarazzo, Porte 3, Parc Ibirapuera, São Paulo, Brésil, tél. 55 11 5576 7600, http://bienalsaopaulo.globo.com, tlj sauf lundi 10h-22h.
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La Biennale de São Paulo tourne à vide
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire général : Ivo Mesquita
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°292 du 28 novembre 2008, avec le titre suivant : La Biennale de São Paulo tourne à vide