Koyo Kouoh, récemment nommée commissaire de la 61e Biennale de Venise 2026, a conçu l’importante exposition « When We See Us » attendue au Bozar à Bruxelles à partir de février. Elle explique la nécessité des artistes panafricains de réécrire et de se réapproprier leur participation et leur représentation dans l’histoire de l’art.
Originaire du Cameroun, Koyo Kouoh (née en 1967), dirige depuis 2019 le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MOCAA) du Cap (Afrique du Sud), le musée le plus vaste au monde consacré à l’art contemporain africain. L’exposition inédite « When We See Us, un siècle de peinture figurative panafricaine », élaborée avec la commissaire Tandazani Dhlakama, a été présentée en 2022 et 2023 au Zeitz MOCAA. Après avoir été montrée pour la première fois en Europe, l’an dernier, au Kunstmuseum-Gegenwart de Bâle, l’exposition s’installe au Bozar à Bruxelles du 7 février au 10 août. Elle rassemble 115 œuvres et 118 artistes de différentes nationalités africaines ou de la diaspora, en dialogue avec les principaux penseurs, écrivains et poètes noirs. De la doyenne, l’Afro-Américaine Clementine Hunter (1886-1988), à l’artiste la plus jeune, la Sud-Africaine Zandile Tshabalala (née en 1999), cette exposition d’envergure embrasse un siècle d’histoire de l’art panafricain.
Plusieurs choses. Il est important pour une institution comme le Zeitz MOCAA de travailler sur l’histoire de l’art panafricain de manière générale. Par ailleurs, on observe depuis dix, quinze ans, un retour impressionnant de la peinture figurative partout dans le monde. J’avais envie d’analyser en profondeur ce regain de curiosité et d’intérêt pour la peinture figurative panafricaine de la part des institutions et du marché. Il est important pour nous de rompre avec le narratif sur les Noirs en général, de décentrer la narration des clichés habituels sur nos vies, de sortir de ce récit classique sur la misère et la violence qui nous colle à la peau pour se concentrer sur la grande force sociale, émotionnelle et politique de la gaîté et de la joie des cultures noires. Et ce à travers les formes et les pratiques figuratives d’artistes africains et de la diaspora qui, de manière simultanée et parallèle, traduisent le quotidien, le vécu de l’être noir. Ont été ainsi juxtaposés des artistes de pays différents qui ont des sensibilités et des thématiques de travail similaires. Par exemple, Chéri Samba (né en 1956, République démocratique du Congo) et Barkley L. Hendricks (1945-2017, États-Unis) que personne n’avait jamais présentés ensemble alors que leurs œuvres expriment des moments de réjouissances collectives. Je pense aussi à la pratique de George Pemba (1912-2001, Afrique du Sud), autre grand artiste de la figuration proche de celle de Romare Bearden (1911-1988, États-Unis), dont on connaît le travail de collage de ces vingt dernières années, mais moins l’œuvre figurative de ses débuts.L’autre aspect important réside dans notre volonté de retracer des généalogies de pratiques et des influences artistiques de la peinture figurative panafricaine. Des œuvres de Beauford Delaney (1901-1979, États-Unis), Lynette Yiadom-Boakye (née en 1977, Royaume-Uni) et de Kudzanai-Violet Hwami (née en 1993, Zimbabwe) ont été ainsi rapprochées car ces artistes partagent les mêmes contenus et la même sensibilité artistique que ce soit dans la composition, les couleurs ou la profondeur de leurs peintures, Beauford Delaney étant le père spirituel et esthétique de Lynette Yiadom-Boakye. Nombre d’artistes sont des inconnus pour le grand public.
Il faut être très attentif pour distinguer ce qui a été peint il y a un demi-siècle et ce qui l’a été au cours de ces deux ou trois dernières années. De même, il est difficile de distinguer ce qui a été produit en Afrique, en Amérique du Nord ou en Europe. Notre parti pris a été de bouleverser le regard du visiteur et de l’amener à découvrir et explorer l’autoreprésentation des Africains et de la diaspora de leur existence et de leur quotidien. Une stéréotypisation importante a été faite sur nos vies depuis longtemps. Il s’agit de se détacher de tous ces clichés construits par le racisme et la puissance blanche, ce que permet ce découpage par thème. Le thème de la spiritualité était ainsi pour nous évident au même titre que les autres. Notre manière de concevoir la vie ne peut se faire sans spiritualité. Une spiritualité multiforme et complexe qu’évoquent entre autres les peintures de Jacob Lawrence (1917-2000, États-Unis), Oliver Souffrant (né en 1994, Haïti), Édouard Duval-Carrié (né en 1954, Haïti) et de Sthembiso Sibisi (1976-2006, Afrique du Sud).
Parce qu’il est difficile de penser cent ans de peinture sans penser aussi à la musique. D’où la commande passée au compositeur et musicien sud-africain Neo Muyanga, qui a brillamment proposé une traduction sonore des thèmes de l’exposition, qui comprend aussi une chronologie, de la révolution haïtienne jusqu’au Black Lives Matter. Cela aide les visiteurs à mieux comprendre comment la littérature, les festivals, les événements politiques et autres moments clés ont contribué à la façon dont les Africains et la diaspora se perçoivent aujourd’hui.
Certainement. Car ce qui est important, c’est que politiquement et institutionnellement les positions et le langage ont changé. C’est nous qui avons pensé cette exposition sur la peinture figurative panafricaine, qui l’avons créée et qui avons donné le ton. Et c’est nous, maintenant, qui la prêtons. Il est important de se réapproprier l’autorité de l’analyse, de la critique et de la présentation de cette histoire, tout comme il est important que le public européen commence à être confronté à une histoire de l’art élargie. Mon travail a toujours consisté en une réappropriation de nos imaginaires et d’occupation de nos territoires par nos propres histoires et notre propre langage.
Ces provenances disent beaucoup de l’évolution de l’attention portée à la peinture figurative panafricaine. Le marché a énormément influencé le cours des choses. Le succès d’un artiste comme Chéri Samba, Barkley L. Hendricks ou Mickalene Thomas (née en 1971, États-Unis) interpelle les institutions, les galeries, les collectionneurs et les amateurs.
Au cours de ces trente dernières années, la création d’institutions, l’émergence de commissaires, d’historiens de l’art et de critiques pertinents, et engagés, ont fondamentalement changé le paysage de l’art contemporain en Afrique. Les créations du centre d’art d’expositions et de résidences, RAW Material Company – que j’ai fondé il y a quinze ans à Dakar –, du Zeitz MOCAA au Cap, du Musée d’art contemporain africain Al Maaden (MACAAL) à Marrakech et du Musée de la Fondation Zinsou à Ouidah (Bénin), ainsi que des manifestations d’envergure comme la Biennale de Dakar participent à une réappropriation d’un récit de l’art contemporain panafricain.
Aucune institution française n’a voulu l’exposition. Ce n’est pas faute de l’avoir proposée.
Je le regrette pour la France.
L'Œil a écrit… Extrait de l’article publié dans L’Œil (n° 777) à l’occasion de la visite de l’exposition au Kunstmuseum-Gegenwart de Bâle, en juin 2024.
Ode à la joie Dans ces tableaux de facture et de style variés, à l’instar de l’immense toile du peintre congolais Chéri Chérin, Obama Revolution, on célèbre les ancêtres du continent noir, devenus des icônes représentant « la fierté envers leur propre histoire et leurs réussites, malgré l’adversité et une longue oppression de plusieurs siècles », comme l’écrit la commissaire Koyo Kouoh. Fresque ambitieuse balayant un siècle de peinture figurative panafricaine et rassemblant plus de 150 œuvres, l’exposition a été conçue par l’équipe du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Le Cap, Afrique du Sud). Pas d’atermoiement sur les violences ou les injustices, mais un focus sur la joie, un thème décliné en six chapitres, comme la beauté du quotidien, l’omniprésence de la spiritualité ou encore à la sensualité des corps et de « l’amour noir », sans égard à la chronologie ni au lieu de création. Cette exposition dynamique et colorée devient une véritable odyssée à travers les œuvres du continent africain et panafricain rarement montrées jusqu’à présent.
Ingrid Dubach-Lemainque
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Koyo Kouoh : “When We See Us”, une réappropriation d’un récit de l’art contemporain panafricain
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°782 du 1 janvier 2025, avec le titre suivant : Koyo Kouoh : “When We See Us”, une réappropriation d’un récit de l’art contemporain panafricain