Julien Magre

De plans de carrière, Julien Magre en a si peu qu’il n’avait absolument pas envisagé qu’on puisse lui proposer, à 48 ans, de candidater à ce prestigieux prix, considéré comme le Goncourt de la photographie. L’appel de Philippe Guionie lui proposant de parrainer sa candidature l’a donc surpris. Personne ne l’avait fait auparavant. Par ailleurs, il ne connaissait pas vraiment le directeur de la Résidence 1+2 « Photographie & sciences ». Jusqu’à sa rencontre avec Catherine Dérioz et Jacques Damez de la Galerie Le Réverbère à Lyon, le photographe n’avait pas davantage cherché à être représenté par une galerie. « Je travaille dans la lenteur et je considère que les choses se font quand elles se font », dit-il simplement. Son bureau, réduit à une table en bois héritée de sa grand-mère, logée dans la chambre de son appartement parisien, illustre bien sa manière d’envisager son travail, mais aussi celle de travailler tel un écrivain à sa table, avec « l’idée du foyer, du feu qui vous protège ». Pour son dossier de candidature au prix Niépce, il a eu « très vite envie de présenter [son] travail sur sa famille », explique-t-il rétrospectivement. « Car il est le plus important que j’ai réalisé, même si je fais de plus de plus de paysages. » Très rapidement également, l’idée du récit chronologique, depuis la rencontre avec Caroline, son épouse et la mère de ses trois enfants, s’est imposée. Livres puis expositions ont déjà mis régulièrement en lumière le regard délicat posé par Julien Magre sur les siens, mais jamais il n’avait organisé le récit sous cette forme de travelling parcourant, en cinquante images, vingt ans de vie commune. Pour ce faire, il est revenu à ses archives classées année par année. Le temps n’a pas modifié l’écriture visuelle, ni la grande douceur des images, simples et pourtant troublantes. Dès ses premières images remontant à la fin des années 1990, on perçoit le sens du cadrage, de la lumière, de la chromie et de l’ellipse si caractéristiques de leur auteur, son talent aussi pour raconter des histoires et pour l’écrit, « plus précis que la photographie ». En vingt ans, il reconnaît n’avoir « jamais éprouvé le besoin de changer quoi que ce soit », si ce n’est de s’intéresser à d’autres territoires que celui de l’intime. Ses récits sur les météorites ou sur les chevaux, ou encore sur le retour des loups en Corrèze, actuellement en cours dans le cadre de la commande photographique du ministère de la Culture, rappellent les autres axes du travail trop souvent réduit à celui de sa famille et à la disparition de sa fille Suzanne, à 7 ans. L’enfermer dans ce drame, c’est oublier l’intérêt qu’il porte à la nature et au paysage, ainsi que le dénominateur commun de tous ses récits qu’est la trace et sa manière d’en remonter ou d’en dérouler le fil. C’est oublier enfin sa grande fidélité, une constante chez lui, que ce soit envers ses amis qu’il photographie tout aussi régulièrement ou envers son éditeur, Filigranes, et Fred Jourda, qui tire ses images depuis vingt ans. Et le photographe de relever dans ce registre son attachement à la Corrèze, la région de sa femme, ou à l’Auvergne, terre de son grand-père, cadre de tant d’images.