Le commissaire d’exposition Jean de Loisy butine les expériences tout en restant fidèle aux artistes. Portrait d’un libre-penseur, entre gourmandise et légèreté.
« Hello ! », c’est souvent par cette interjection primesautière que Jean de Loisy accueille ses interlocuteurs. L’artiste Bernard Bazile le dit bien : « Quand vous croisez Jean, vous avez l’impression d’entendre les journalistes radio de six heures du matin, avec la voix pleine d’entrain et de pêche ». C’est que ce grand charmeur a longtemps fait son show. Certains le voient même en embobineur-bonimenteur, guetté par une insoutenable légèreté de l’être. « S’il paraît ne jamais avoir de peine, c’est qu’il est pudique », proteste le marchand Luc Bellier. Malgré son côté sautillant, le commissaire de l’exposition « Traces du sacré » au Centre Pompidou, du 7 mai au 11 août, est moins dilettante qu’il n’y paraît. Nettement plus fidèle aussi, comme le soulignent les artistes. « J’ai toujours voulu être un voyou, mais je n’en suis pas un, ironise l’intéressé. Je suis un bon garçon, mais c’est mon fantasme. » Le mot est lancé. Car il lui est difficile de garder toujours un équilibre entre le réel et l’imaginaire. « Toute son histoire, c’est d’être proche de l’émerveillement de l’objet. Il cherche à voir ce qui se trame derrière le visible, observe Jean-Marc Ferrari, directeur de l’école d’art d’Avignon. Il y a quelque chose de lié à l’ombre chez lui, pas dans le mauvais sens, noir, mais de l’ombre comme fraîcheur. Il n’aime pas l’occultisme comme croyance, mais comme mouvement de la pensée. » Ce que confirme l’artiste Jean-Michel Alberola : « Jean cherche toujours ce qui le dépasse ». Sa quête effrénée de nouveaux territoires à la marge, sa tendance à trop embrasser pour parfois mal étreindre, pourrait en faire un Bouvard et Pécuchet des temps modernes. « C’est un être très curieux, impatient et très subjectif, défend le journaliste Jean Daive. Il a des désirs qu’il n’arrive pas à fixer. »
Érudition d’autodidacte
Cultivant des relations tendues avec un père éleveur de chevaux et répugnant à passer des examens, Jean de Loisy s’est construit une érudition d’autodidacte. Adolescent à Paris, il rencontre par l’intermédiaire de François Durand-Ruel sa mère, Denyse, et leur cercle d’amis artistes, de César à Lavier en passant par Raynaud. Avec sa grand-mère adorée, il fera aussi bien l’école buissonnière que celle du Louvre, paiera ses études en faisant de l’astrologie et sillonnera la France en 4L pour visiter les artistes. Ce, en se fiant toujours à ses intuitions. « Il n’a pas besoin d’écouter les logorrhées du milieu, il peut juger d’une œuvre sans passer par des codes, souligne l’artiste Franck Scurti. C’est l’homme de tous les réseaux et d’aucun, il les travaille en satellite, ce qui lui donne une autonomie de pensée. » Sa première exposition, il la fait dans la cave de la Galerie Gabrielle Maubrie à charge pour lui de la nettoyer, puis réitère l’expérience dans le stock d’une librairie. En 1983, il prend la direction du tout premier Fonds régional d’art contemporain (FRAC) des Pays de la Loire et crée les ateliers internationaux dans l’Abbaye Royale de Fontevraud, à Fontevraud l’Abbaye (Maine-et-Loire). Il y invitera aussi bien Mac Adams, Jean-Michel Alberola que Matt Mullican.
Après un petit tour par l’inspection à la Délégation aux arts plastiques, où il s’occupe des commandes publiques dans les monuments historiques, il devient le bras droit de Bob Calle au Carré d’art de Nîmes. Un poste où il organise quelques expositions retentissantes comme celle de « James Turrell », tout en rongeant son frein. « Il était pressé de devenir directeur, se souvient Bob Calle. Ce que j’ai pu lui reprocher, c’est de tout ramener à lui. Mais si demain il retravaillait avec moi, je ne dirais pas non. C’est quelqu’un de vivant, et il y a beaucoup trop de gens qui sont morts. »
À la Fondation Cartier où il arrive en 1990, il met du temps à trouver ses marques, mais, comme au FRAC des Pays de la Loire, il insuffle une qualité internationale aux résidences d’artistes. Car ce sont bien les créateurs qui l’ont influencé, modelé, formé, à commencer par Jean-Marc Ferrari, avec lequel il passe des après-midi à tenter de marcher sur l’eau, Jean-Michel Alberola, ou encore Jean-Jacques Lebel, dont il prépare une exposition à la Maison Rouge en 2009. « Il n’y a pas un artiste que je rencontre sans que ma bibliothèque ne change, déclare-t-il. Ce que j’aime, c’est rentrer dans le cerveau de l’artiste, parvenir à en restituer le labyrinthe. Si on perd le contact avec lui, on perd l’observation de la transformation des paradigmes. » Quelque part, l’œuvre l’intéresse moins que l’homme. « Jean ne décrit pas les œuvres, il n’a pas de sens visuel. Il préfère parler du parcours. Il a un goût de l’atelier, il a compris que c’est là que tout se passe, c’est une forme d’ascèse », remarque Jean Daive. Son rapport avec les créateurs s’orchestre sur le mode de la fidélité, ponctuée parfois d’éclipses. « Quand Absalon est mort, il a continué à faire la promotion de son travail, rappelle Marie-Claude Beaud, directrice du Mudam à Luxembourg. Il est pressé, mais précis, pressé mais bien là. Il peut passer trois jours à temps complet avec les artistes. » Et ces derniers le conduisent parfois vers des traverses farfelues. Avec Jean-Marc Ferrari, il invite de 1985 à 1990 des créateurs à dormir dans la Grotte de Beilhac, au fin fond de l’Ariège. Marina Abramovic, Patrick Saytour ou Panamarenko se plieront à cette maïeutique des rêves restée en pointillé. D’autres idées resteront en jachère comme celle de travailler avec un artiste autour de la chapelle des Morts à Villeneuve-lès-Avignon, ou encore « Songlines », une cartographie poétique de l’Europe. De Loisy se lance bien souvent sur des sujets, dont il n’est pas le spécialiste, comme « Hors Limite » sur la performance au Centre Pompidou ou bientôt « Traces du sacré ». L’appui d’un second commissaire est souvent appréciable. « S’il est bien délimité, entouré, ça se passe bien. Jean est un cheval sauvage qu’il faut maîtriser », observe un proche. Ses expositions se construisent presque toujours comme des histoires, normal pour un homme passionné par le récit et la littérature. Pour « Traces du sacré », il le dit d’emblée : « On a voulu donner un point de vue sur une histoire du XXe siècle qui n’a pas été formulée. C’est la trace d’un sacré disparu. Les questions sont tellement graves que toute idée que l’art puisse être futile va disparaître. »
On peut s’étonner que cet amateur d’aventures buissonnières, sautillant d’un poste à un autre tous les trois ans, ait fait un passage par la case Beaubourg. Il y montera notamment une exposition très controversée de Bernard Bazile. « Tout le monde était contre nous, j’ai arrêté l’exposition avant la fin car elle était mal gérée, les films projetés dans de mauvaises conditions, se remémore l’artiste. Je ne m’en prends pas à Jean qui m’avait invité et était isolé. C’était mon affaire de me bagarrer, pas la sienne. » D’après les familiers, de Loisy ne serait de toute façon guère bagarreur, « n’aimant pas souffrir, n’aimant pas les conflits ». Mais parfois ces derniers le rattrapent au vol. L’exposition « La Beauté » en Avignon, dont il fut le commissaire en 2000, s’est ainsi soldée par une ardoise de 35 millions de francs. Pris comme bouc émissaire par la Mission 2000, méchamment lâché par Jean-Jacques Aillagon, il assigne sa direction devant les Prud’hommes. « On m’a fait porter un chapeau qui n’était pas le mien, grince-t-il. La Cour des comptes a fait un rapport dans lequel j’étais mis hors de cause. »
Les histoires augurales
Après la débandade de la Beauté, de Loisy prend le large dans le vrai sens du terme en suivant les navigateurs Bruno Perron ou Titouan Lamazou. « La mer est un endroit où l’on ne peut pas mentir, prétendre savoir faire des manœuvres, indique-t-il. Dans le monde de l’art, on doit prétendre. Sur mer, on est quasiment mort. Avec le bateau, je vois la différence entre feindre et faire. » Pour le navigateur Yvon Fauconnier, avec lequel il aura fait la traversée du Pacifique Sud en vingt-cinq jours, « Jean s’expose, s’intéresse à tout. Ce n’est pas un touriste ou un témoin. Il sait voyager, arriver dans un pays, y trouver de l’intérêt, y établir rapidement des contacts, aller tout de suite dans le vif du sujet. »
Cet homme longtemps nomade pourrait-il se refixer dans un lieu ? « Quand j’ai quitté Beaubourg, j’ai laissé tomber l’idée d’un lieu, rappelle-t-il. Dès la première année, j’avais compris que je ne travaillerai pas longtemps dans une institution. Je ne me sens pas gestionnaire. J’aime les histoires augurales, avoir la sensation vaniteuse de lancer de nouvelles attitudes. » Au rang des derniers projets « auguraux » l’idée, prévue pour fin 2010, d’un grand cabinet de curiosité mêlant ancien et contemporain autour de l’imaginaire méditerranéen à la Citadelle de Saint-Tropez. Une façon de larguer les amarres en restant sur terre.
1957 : Naissance à Paris
1983 : Direction du FRAC des Pays de la Loire
1990 : Conservateur à la Fondation Cartier
1994 : Coresponsable des Galeries Contemporaines-Galeries Sud au Centre Pompidou
2000 : Commissaire de l’exposition « La Beauté » en Avignon
2008 : Commissaire de l’exposition « Traces du sacré »
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Jean de Loisy - Commissaire d’exposition
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°280 du 25 avril 2008, avec le titre suivant : Jean de Loisy - Commissaire d’exposition