Difficile, en art, d’imaginer un motif a priori plus impersonnel que celui de la grille. On l’associe spontanément aux compositions géométriques colorées de Mondrian, à l’expression de la modernité.
Dans l’œuvre de Jean-Charles Eustache, ce thème, apparu à partir de 2016, ne se laisse cependant pas réduire à une forme d’abstraction. Il en émane au contraire une impression de vie, d’épanouissement de la perception. « On discerne dans ces grilles des ombres portées, comme lorsqu’on observe la course du soleil sur une façade », note Jean-Charles Vergne, le directeur du Frac Auvergne, commissaire d’une double exposition consacrée à l’artiste par le Frac et la Galerie Claire Gastaud, à Clermont-Ferrand. Un ouvrage monographique édité à cette occasion permet d’appréhender l’évolution de ce travail tout en prenant connaissance des circonstances biographiques extrêmes de sa production.
La mémoire, la remémoration, la sensation, sont au cœur des obsessions de ce littéraire, qui avait 30 ans, l’âge limite, lorsqu’il s’est résolu à passer le concours d’entrée aux Beaux-Arts de Clermont. Devenir artiste avait jusque-là paru impensable au Guadeloupéen, frappé depuis l’enfance d’une quasi-cécité, mais qui pourtant se passionna, très jeune, pour la peinture. Il cite ainsi le poster intriguant d’un triptyque de Francis Bacon affiché au mur de l’institution pour malvoyants où il fit sa scolarité, la texture crayeuse des tableaux de Dubuffet approchés au plus près, « des sillons creusés à même la peau de l’image »…
Aux Beaux-Arts, Jean-Charles Eustache s’essaie, sur des cartons de format moyen, à une série de paysages mélancoliques dans des camaïeux cendrés. Le Frac remarque ses peintures avant, il y a dix ans, de faire rentrer dans sa collection plusieurs toiles, « des scènes, convoquant des souvenirs d’enfance, qui semblent entrer en combustion à la façon d’une pellicule photo exposée à la flamme », précise Jean-Charles Vergne. En 2016, une série de monochromes fait l’objet d’une deuxième acquisition.
Trois ans plus tard, Eustache, revenu à des sujets plus figuratifs, souhaite à son tour faire une donation de quinze peintures, venue compléter les deux ensembles. Il s’agit toujours de petits formats, exécutés dans le salon du minuscule appartement de ce peintre sans atelier. Dans une palette de gris à peine teintés, ils requièrent l’attention que l’on porte aux miniatures, lesquelles peuvent contenir des mondes. Ceux dépeints par l’artiste sont tantôt saisis dans la tension qui précède l’effacement, tantôt près de s’évanouir, dans un glissando irrévocable, ou bien encore nimbés d’une aura surnaturelle et bruissant de liens invisibles. Ils fascinent d’autant plus que leur surface mate leur confère une opacité cireuse, à l’inverse de la matière éthérée de la réminiscence. Pour cette double exposition, le Frac a voulu présenter la vingtaine de pièces de son fonds, tandis que la galerie, en réunissant une sélection de toiles récentes et plus anciennes, montre les articulations de cette œuvre. Aperçue ces dernières années sur des salons, celle-ci, c’est certain, se ne laisse pas oublier.
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Jean-Charles Eustache
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°742 du 1 mars 2021, avec le titre suivant : Jean-Charles Eustache