Pour sa première édition, la Biennale de design d’Istanbul a vu grand. 285 architectes et designers issus d’une cinquantaine de pays ont œuvré sur le thème de l’« Imperfection ». Deux grandes manifestations se penchent, l’une sur la transformation urbaine, l’autre sur le partage des savoirs et techniques.
ISTANBUL - Surfant sur la vague, la Turquie se met à l’heure du design. La Fondation pour la culture et les arts d’Istanbul (Istanbul Kültür Sanat Vakfi), déjà organisatrice, depuis 1987, de la fameuse Biennale d’art contemporain, lance cette année la première « Istanbul Tasarim Bienali », ou « Biennale de design d’Istanbul ». Celle-ci présente un large spectre de la création : architecture, urbanisme, design industriel, graphisme, mode et nouveaux médias. En tout, 90 projets conçus par 285 architectes et designers issus de 46 pays sont réunis sur un thème dans l’air du temps : l’« Imperfection ».
Outre des conférences et des expositions dans des boutiques, galeries ou musées, la ville accueille des événements annexes, dont la remise du deuxième Audi Urban Future Initiative Award, prix qu’octroie la firme automobile allemande à un architecte ayant cogité sur le thème de la mobilité. Cette année, c’est le duo américain Éric Höweler Meejin Yoon (Boston) qui se voit récompensé pour sa vision de la conurbation Boston-Washington à l’orée 2030. Mais la biennale propose surtout deux vastes expositions déployées dans deux bâtiments phares du quartier de Tophane : d’un côté, « Musibet », sous la houlette de l’architecte turc Emre Arolat, au Musée d’art moderne d’Istanbul (Istanbul Modern) ; de l’autre, « Adhocracy », cornaquée par l’Italien Joseph Grima, rédacteur en chef de la revue d’architecture Domus, dans l’ancienne école grecque Galata Greek School. Comme dans toute manifestation de cette ampleur, il y a « à prendre et à laisser ».
Au rez-de-chaussée du Musée d’art moderne, sur 1 400 mètres carrés, « Musibet » réunit divers projets de transformation urbaine et d’habitat social à Istanbul. En dépit d’une scénographie efficace – hormis l’accès, par le biais d’une grotesque « porte de prison » –, les propositions se révèlent un brin faiblardes. Ainsi en est-il du projet The Bomb de l’architecte Kerem Piker, lequel use de grands moyens illustrant un bombardement allemand, durant la Seconde Guerre mondiale, de trois lieux chéris des Stambouliotes, le pont de Galata, la place Taksim et l’ancien hôpital français ; scénario « fictif » est-il précisé…, pour démontrer, façon cliché, que la ville ne résulte pas uniquement d’actes mûrement pensés, mais aussi d’« accidents » dus à sa propre histoire. Plus éclairante est cette « cartographie » d’Istanbul signée Burak Arikan qui, sous forme de triptyque brodé, met en parallèle trois réseaux d’édifices – les mosquées, les bâtiments d’État, les centres commerciaux –, leurs connexions entre eux et leur zone d’influence, le tout pour illustrer les trois idéologies dominantes en Turquie : l’islam, la république et… le néolibéralisme.
Vélo sur mesure
À quelques encablures de là, dans l’ancienne école grecque et sur 2 300 mètres carrés, Joseph Grima a choisi pour « Adhocracy », plutôt que d’exhiber « des produits finis », de décortiquer ce qu’il estime être « la meilleure expression du design aujourd’hui » : ses mécanismes d’élaboration, « systèmes, outils, réseaux, plateformes… », et en particulier « ceux qui impliquent les utilisateurs dans le processus de définition du produit final ». Les pistes de recherche actuelles ici dévoilées sont passionnantes.
Avec ProdUSER, le designer français Tristan Kopp imagine un vélo littéralement « sur mesure », le réduisant aux « quatre pièces de jonction » essentielles, celles qui permettent d’associer les quatre tubes formant le cadre, le reste – couleurs, dimensions, matériaux… – étant dessiné et fabriqué selon les besoins et les goûts de chacun des utilisateurs. Le duo italo-nippon Minale/Maeda invente, lui, ce qu’il appelle le « design téléchargeable », ou « Downloadable Design ». Sa collection de meubles « Keystones » se compose d’une série d’éléments basiques en bois que l’on peut réaliser soi-même, associés à des « rotules » fabriquées, sur place, à partir d’imprimantes en 3D.
« Coopératives du futur »
Le design de demain aurait-il à voir avec la notion de partage ? Oui. Notamment à travers le concept de l’« open source », réseau de personnes telles que designer, artisan et utilisateur qui échangent savoirs et techniques et peuvent, de fait, intervenir à tous les niveaux du processus de fabrication d’un produit. À l’instar de ce qui se passe dans le développement des logiciels (software), l’idée est de permettre à chacun de fabriquer des matériels (hardware) à partir d’une matrice adaptable et libre d’utilisation, donnant ainsi au public une liberté de contrôler la technologie. Exemple à Maysville, dans l’Ohio (États-Unis), où un groupe de fermiers et de scientifiques fabriquent de leurs propres mains, depuis 2003, une cinquantaine de machines agricoles dont ils publient les plans sur la plateforme « Open Source Ecology ». Ainsi du tracteur LifeTrac III ici exposé, « beaucoup moins cher que son équivalent dans le commerce » certes, mais beaucoup plus… rustre.
Cette exposition montre en tout cas un certain déplacement de l’épicentre de la production de l’usine vers l’atelier de l’artisan, voire vers ces « coopératives du futur », baptisées Fab-Lab ou « laboratoires de fabrication (numérique) ». En clair : la production « collaborative » a de beaux jours devant elle.
Jusqu’au 12 décembre, en particulier à Istanbul Modern, tlj sauf lundi 10h-18h, et à la Galata Greek School, tlj sauf lundi 10h-19h, http://istanbuldesignbiennial.iksv.org
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Istanbul Design : première !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Istanbul Design : première !