Sculpture

Ironie mordante

Le « Soft work » de Sterling Ruby au Frac Champagne- Ardenne est moins doux qu’il n’en a l’air

Par Françoise Chaloin · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2012 - 438 mots

REIMS - Moins tourmenté que Mike Kelley, dont il fut le « teaching assistant » à l’Art Center College of Design à Pasadena (Californie), Sterling Ruby, né en 1972, en partage néanmoins son intérêt pour les expressions de la culture populaire ou de l’artisanat, son sens de la théâtralité comme son questionnement sur les formes contemporaines de la répression aux États-Unis.

Ses sculptures molles et colorées emplissent généreusement, après le Centre d’art contemporain de Genève, l’espace du Frac (Fonds régional d’art contemporain) Champagne-Ardenne, qui offre là à l’artiste californien, sous le titre « Soft work », sa première exposition monographique en France.

Vampires et prisonniers
Connu pour ses céramiques biomorphiques, ses peintures au spray ou ses sculptures minimalistes « vandalisées », Sterling Ruby présente à Reims une série de travaux entamés en 2005 et relevant de l’art du patchwork, lesquels entrecroisent quelques motifs récurrents. La bouche de vampire est l’un d’entre eux, qui surprend par l’image ludique qu’elle donne de la dévoration, ses deux « crocs » étant prolongés, dans un rapport de symétrie, par deux grandes gouttes de sang. Plus de trente bouches géantes couvrent ainsi les murs des salles dans un dégradé de couleurs franc et maîtrisé. Au sol se répandent d’autres formes en tissu rembourré, inspirées cette fois de ces coussins « Husband » destinés à accueillir entre leurs bras moignons le corps des femmes célibataires regardant la télévision. Regroupées en un alignement drôle et grotesque de gros « derrières », ou bien en un empilement un peu triste et doux adossé au mur, ces Husband and Child semblent autant rire que se plaindre de la solitude de l’époque actuelle.

Dans Le Mou et ses formes (1), Maurice Fréchuret retrace l’histoire de l’art du XXe siècle à partir de l’acte d’« entasser », de « nouer » ou du « laisser pendre ». Appartenant à cette dernière catégorie, plusieurs suspensions faites de boudins de tissu assemblés en grille dégoulinent du plafond. Une grille issue du vocabulaire minimaliste, mais rapportée aussi bien par l’artiste au système carcéral américain, car souvent associée à un tissu pelucheux reproduisant le motif de la bannière étoilée. Ces éléments participent d’une symbolique élémentaire qui fait ainsi se rejoindre, dans certaines pièces, la splendeur passée des États-Unis et sa culture de la violence aujourd’hui, les pulsions des prédateurs et l’affaissement des consommateurs, comme les larmes des prisonniers et le sang des victimes. Pourtant, en dépit de cet emploi littéral du symbole, Sterling Ruby réussit à mettre en scène de façon opérante et facétieuse la tension entre un propos engagé et des formes douces.


(1) éd. École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, 1993.

STERLING RUBY, SOFT WORK

Jusqu’au 26 août, Frac Champagne-Ardenne, 1, place Museux, 51100 Reims, tél. 03 26 05 78 32, www.frac-champagneardenne.org, tlj sauf lundi 14h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°372 du 22 juin 2012, avec le titre suivant : Ironie mordante

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