Au Centre Pompidou-Metz, l’exposition « Vues d’en haut » retrace une certaine émancipation du regard des artistes et architectes à partir des premières photographies aériennes.
METZ - « La conquête de l’air a impacté notre vision du monde. Et ce basculement perspectif de la vision à hauteur d’yeux, ou de bas en haut, pour la plongée, la verticalité, ont provoqué depuis plus d’un siècle des effets multiples sur la création artistique jusqu’à nos jours. Cette épopée n’a jamais été retracée dans un musée ; l’exposition “Vues d’en haut” a pour ambition de présenter pour la première fois les jalons principaux d’une histoire verticale de la modernité. » Son propos énoncé, Angela Lampe, commissaire générale de l’exposition du Centre-Pompidou-Metz et conservatrice au Musée national d’art moderne, décortique les marques de cette perception du dessus dans l’histoire de l’art, depuis Nadar jusqu’à nos jours. Pour les créations antérieures, il faut se reporter à la lecture du très complet catalogue de l’exposition.
La réflexion prend pour point de départ les premières images aériennes de Nadar à Paris en 1858-1868 et de l’Américain James Wallace Black à Boston en 1860, ainsi que celles des films des frères Lumière. Et elle tend dès le début, à l’appui de toiles de paysages urbains de Caillebotte, Monet et Pissarro, à établir non les liens entre Nadar et les impressionnistes mais la portée, la contemporanéité de cette nouvelle perspective offerte par l’évolution des sciences et des techniques qui entre en résonance avec les interrogations des artistes de ce mouvement.
De l’observation à la surveillance, au fur et à mesure des progrès exponentiels enregistrés en un siècle et demi – du ballon au satellite et aux drones –, l’image a pris de la hauteur, s’est faite plus abstraite et a modifié les perceptions du monde. Pour le meilleur, le fantastique, comme pour le pire, contribuant au bouleversement de la création dans tous les domaines (photographie, arts plastiques, architecture, cinéma…), ainsi que le montre la première partie de l’exposition consacrée à la période 1850-1945 ; Angela Lampe y développe à merveille le thème, voire apporte des éclairages inédits sur le rôle du regard surplombant dans le cubisme. Exemple avec Picasso, qui, durant l’été 1909, photographie en plongée les toits d’Horta de Ebro (Espagne), images noir et blanc aux lignes et aplats de tuiles mises en regard avec une aquarelle sur papier du même point de vue réalisée dans le même temps.
Qualité graphique
Particulièrement éclairantes, fortes et justes aussi dans leur choix, des œuvres et des revues, sont présentées dans les salles dédiées au suprématisme de Malevitch et aux projections spatiales d’El Lissitzky. De même sont remarquables celles consacrées au Bauhaus et à László Moholy-Nagy, frappé pour ce dernier par l’effet planimétrique des images aériennes tout autant que par leur effet d’abstraction, leur graphisme linéaire. Aussi marquante est l’exploitation par Robert Delaunay pour sa série des « Tour Eiffel » des photographies aériennes d’André Schelcher. Troublante également la mise en regard de Composition no 5 de Mondrian avec un film sur un champ de bataille aux troupes symbolisées par de petits cubes.
L’élévation de l’angle de vue a donné aux images de la Première Guerre mondiale de Charles-Jean Hallo ou d’Edward Steichen, mais aussi aux films anonymes et cartes militaires du conflit, une qualité esthétique abstraite inouïe. Le point de vue élevé, depuis les buildings de Manhattan par Margaret Bourke-White jusqu’aux images renversées de tours du film couleurs de l’artiste contemporain Ernie Gehr, prend, sous l’influence de la Nouvelle Vision (1920-1940), une qualité graphique, symbolique, onirique tout aussi puissante.
Le changement de registre passé la Seconde Guerre mondiale est radical, comme l’est la scénographie du second niveau de l’exposition s’ouvrant sur l’impact de la vue aérienne par les Américains, de Jackson Pollock à Sam Francis, Richard Diebenkorn ou Georgia O’Keeffe, tous trois nourris de leurs expériences de pilote ou de passager. Abrupt cependant dans cette section intitulée « Topographie », l’accrochage d’une œuvre de l’artiste aborigène Rose Yardaya Mapangardi Ruby, totalement esseulée, perdue, pour ne pas dire dans le vide. Comme le sont en face les sections séparées des photos de Mario Giacomelli et de l’ethnologue Marcel Griaule.
À se vouloir trop exhaustif, le propos d’Angela Lampe multiplie dans cette partie les incises qui en gênent la lecture et dont le télescopage parfois n’est pas des plus heureux ni des plus appropriés, notamment concernant le land art. C’est le cas également en fin de parcours, quand la commissaire met en regard les épreuves de Mishka Henner et d’Alex MacLean avec les images vues du ciel de Yann Arthus-Bertrand, qui sont censées dénoncer les désastres écologiques et qui ne dénoncent rien, si ce n’est dans la légende qui les accompagne !
Commissariat général : Angela Lampe
Nombre d’œuvres : 500
Surface d’exposition : 2 000 m2
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Images du monde
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 7 octobre, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57020 Metz, tél. 03 87 15 39 39, www.centrepompidou-metz.fr, tous les jours sauf mardi 11h-18h, 10h-20h samedi, 10h-18h dimanche. Catalogue, éd. Centre Pompidou-Metz, 432 pages, 49 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°393 du 7 juin 2013, avec le titre suivant : Images du monde