Dans un entretien croisé réalisé à l’occasion du vingtième anniversaire de la création du Musée d’art contemporain Castello di Rivoli, près de Turin, Ida Gianelli, sa directrice, et Daniel Soutif, directeur du Centre d’art contemporain Luigi-Pecci à Prato (à une vingtaine de kilomètres de Florence), reviennent sur le rôle du Castello dans le paysage italien et international.
Daniel Soutif : En Europe, le Castello di Rivoli est devenu une étape obligatoire de l’art contemporain. Sans parler de son rôle de premier plan au niveau national, dans un pays où il incarne depuis longtemps l’institution la plus mature, la mieux intégrée dans le contexte international, tant par ses dimensions que par la qualité de son travail. L’Italie, vue de Paris, de Londres ou de New York, s’est longtemps résumée à ce qui se passait dans les salles du Castello.
Vue de l’intérieur, la réalité italienne est peut-être plus variée, et aussi plus complexe, du fait de la grande diversité culturelle de son territoire...
D. S. : Évidemment, aujourd’hui, je vois cela en tant qu’étranger. Mais sans le Castello, la situation de l’art contemporain en Italie aurait été véritablement problématique, et elle le serait sans doute encore aujourd’hui. Tout au long du XXe siècle, des pays comme la France, l’Allemagne et l’Angleterre se sont dotés de tout un patrimoine d’œuvres d’art aujourd’hui rassemblées dans les musées, alors que cela n’a jamais été le cas en Italie. À cet égard, le Castello a été la première institution italienne à avoir constitué une collection cohérente, et pérenne, dans le domaine de l’art contemporain. En Italie, on pense beaucoup aux expositions temporaires et moins aux structures.
Ida Gianelli : Cela a été mon combat, dès le début. Ce qui nous manquait, ce n’était pas un lieu d’exposition de plus, mais bel et bien un véritable musée, qui dépasse la « culture de l’éphémère » pour constituer à terme un point de référence. La Région Piémont a très bien compris cette exigence, et, grâce à la CRT [Caisse d’Épargne de Turin], nous avons créé une collection. À Turin, il y a eu la synergie positive de plusieurs acteurs, privés et institutionnels.
Pour le Castello di Rivoli, la question du lieu s’est aussitôt posée, liée à la question de son architecture, de son fonctionnement et des activités qu’il devait accueillir. Les modèles que vous avez choisis n’ont rien à voir avec ce qu’ont pu produire d’autres pays à travers le monde.
I. G. : Comme c’est souvent le cas en Italie, la restauration du château, qui date du XVIIIe siècle, était antérieure à sa reconversion. Les artistes aiment entrer en dialogue avec l’histoire, avec le passé, avec un lieu qui a des choses à dire. Ce qui est rarement possible avec les architectures contemporaines. Dans le cas d’un lieu historique, l’artiste se sent en relation avec une entité « autre ». Jamais je n’ai rencontré de réaction négative à ce lieu de la part d’un artiste, même venant de ceux issus d’une culture plus « jeune ». Au contraire, plus ils sont déconnectés de l’histoire et plus ils sont fascinés. Peut-être trouvent-ils cela exotique… en tout cas, le dialogue est toujours fort. Le château offre une grande « disponibilité », toutes les raideurs liées à sa fonction d’origine – un lieu de résidence – ont fini par disparaître au fil des siècles ; aujourd’hui, il ne reste plus que la fascination pour le lieu et sa mémoire. Je crois que c’est l’un des éléments qui a contribué à son succès en tant que musée.
La collaboration entre les musées est-elle possible et souhaitable ? L’art contemporain, par son fonctionnement même, est fondé sur le dialogue. Il contraint peut-être les institutions à une plus grande ouverture, sur l’international aussi...
I. G. : Il n’est pas facile de dialoguer au niveau de l’Italie. Il y a aujourd’hui en Italie une vingtaine de musées consacrés à l’art contemporain, sans compter les fondations. Avant tout, il faudrait réussir à créer un socle commun pour être complémentaires plutôt que de se superposer les uns aux autres. Il faut œuvrer sur le plan national pour construire une image exportable à l’extérieur, une image qui montre que nous avons dépassé le stade de l’improvisation : il existe maintenant chez nous des structures efficaces, capables de cohésion.
D. S. : Le plus important, c’est la continuité. En Italie, les choses naissent et disparaissent vite. Les institutions sont jeunes et encore fragiles, mais c’est à elles de s’imposer au-delà des personnes, et de former ceux qui seront amenés à les diriger. Cette tradition n’existe pas en Italie.
Y a-t-il aujourd’hui une forte concurrence entre les musées au niveau national, notamment sur le plan de la recherche de partenaires financiers privés ou institutionnels... ?
I. G. : Je ne crois pas. Il est vrai qu’aujourd’hui les sources financières, qu’elles soient publiques ou privées, sont toujours les mêmes. Mais le champ de l’art contemporain en est encore aux balbutiements. De même qu’il y a peu de musées, il y a peu de financeurs. Si le système se développe, avec la multiplication des institutions nationales, et l’intérêt grandissant du public, on pourra à terme trouver de nouveaux types de soutien.
D. S. : Il existe ailleurs des formes de mécénat d’entreprise très différentes de ce qui se pratique en Italie. Le mécène paie une partie de l’événement, lequel devient pour lui un instrument d’autopromotion : à hauteur de sa participation, il a le droit d’utiliser une partie de l’événement, sous forme de soirées exceptionnelles et autres manifestations. Évidemment, sans aucun droit d’ingérence dans le contenu artistique ou culturel. En Italie, ce système n’existe pas.
I. G. : La Région Piémont, ou même d’autres partenaires, ont tout de suite compris que c’est ainsi qu’il fallait procéder pour le Castello. Sans aucune ingérence, ni dans le choix des expositions, ni dans la gestion du musée. Mais il est vrai qu’il s’agit d’un cas vraiment à part dans le paysage italien, dû à la rencontre fortuite et heureuse entre quelques personnes.
Aujourd’hui plus qu’hier encore, il est nécessaire qu’un directeur de musée ait des compétences de gestionnaire, en plus de ses compétences scientifiques.
D. S. : Je n’aime pas le terme de « manager » appliqué au champ de la culture (de même que l’idéologie qui sous-tend ce terme), mais il faut évidemment être capable de contrôler ses moyens financiers. En revanche, je suis farouchement opposé à l’idée de rentabilité appliquée aux musées. C’est d’ailleurs totalement illusoire : nulle part dans le monde il n’existe d’institution culturelle « rentable ». Ce qui, bien sûr, ne signifie pas qu’on a le droit d’être irresponsable dans sa gestion. J’aimerais conclure en élargissant un peu le débat : aujourd’hui, vingt ans après la naissance du Castello di Rivoli en tant que musée, le système sur lequel repose l’art contemporain en Italie est assurément plus solide, mieux structuré. Mais le Castello est encore la pierre angulaire de ce système. À présent, il faut penser à l’avenir : maintenir le cap, dans la continuité et aussi dans le dialogue.
Le Castello di Rivoli célèbre son vingtième anniversaire avec une rétrospective consacrée à l’artiste américain Franz Kline. La commissaire, Carolyn Christov-Bakargiev, a réuni plus d’une centaine d’œuvres – dessins, peintures, gouaches, aquarelles – illustrant la carrière spectaculaire de l’un des principaux acteurs du mouvement de l’expressionnisme abstrait. - « Franz Kline (1910-1962) », Castello di Rivoli, Piazza Malfada di Savoia, Rivoli-Turin, tél. 39 011 956 5222, wwwcastellodirivoli.org. Jusqu’au 31 janvier.
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Ida Gianelli, Daniel Soutif : Le Musée d’art contemporain Castello di Rivoli fête ses 20 ans
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°206 du 7 janvier 2005, avec le titre suivant : Ida Gianelli, Daniel Soutif : Le Musée d’art contemporain Castello di Rivoli fête ses 20 ans