HELSINKI / FINLANDE
Alors que la saison finlandaise bat son plein un peu partout en France, mettant largement en avant design et architecture, revue de détail sur le terrain, dans la capitale Helsinki, au pays des ciseaux Fiskars, de Linux et de Nokia.
Ce petit pays étrange, ouvert sur la Baltique et peu habité, est couvert à 72 % par la forêt et à 10 % par les lacs, mais Helsinki n’est pas pour autant un village de huttes. Dès l’arrivée dans la capitale, on est étonné par un urbanisme peu marqué par les maisons individuelles, alors même qu’elles uniformisent à toute vitesse les abords des villes françaises. En Finlande, on préfère vivre en appartement et posséder une cabane dans les bois, au bord d’un lac ou de la mer. Une cabane en bois, bien sûr !
Helsinki propose un visage pluriel entre un centre-ville très « russe », de larges avenues et une architecture rappelant souvent Saint-Pétersbourg, planifié par l’Allemand Carl Ludwig Engel qui avait résidé dans la ville russe avant 1820, des quartiers Art nouveau construits vers 1900, des bâtiments modernistes de premier ordre et une floraison d’équipements culturels et éducatifs flambant neufs.
Rationnel et sans fioritures
Surprise, le bois ne règne pas en maître. Il subsiste très peu de bâtiments anciens en bois et l’architecture actuelle n’a pas encore retrouvé complètement ce matériau. Concentrée sur la fabrication de cellulose après guerre, la filière bois finlandaise n’a renoué que récemment avec l’architecture. À Helsinki, la tour du zoo, tressage et tour de force de troncs de bouleaux, et l’église de Vikki témoignent de ce retour en grâce très progressif.
La Finlande investit massivement dans l’éducation de ses concitoyens, elle lance avec régularité un nombre impressionnant de chantiers pour satisfaire une imprégnation culturelle de haut niveau. Et ici, le destin que l’on peut rêver pour ses enfants est celui d’architecte. Malgré la crise sévère qui assaillit les cabinets dans les années 1990, on dénombre environ deux mille membres inscrits dans cette discipline.
Mais cette vigueur et ce prestige de l’architecture restent largement méconnus en dehors de la Finlande. Il faut alors se rendre au Weegee, association de cinq musées de la ville d’Espoo voisine d’Helsinki ou au centre culturel Sanders pourvu d’une fabuleuse salle de concerts incrustée dans la roche, pour saisir cette vitalité. Posée, rationnelle, forcément écologique, l’architecture finlandaise n’est jamais folle, ni même maniérée, parfaitement dans la lignée d’Aalto, en assumant tout de même une évolution contemporaine. L’architecture est bien la discipline qui matérialise le mieux l’esprit et la culture finlandais.
Et cette haute mission ne date pas d’hier. Déjà, lorsque la Finlande n’était qu’un grand-duché sous tutelle russe (entre 1809 et 1918), elle s’était servie de l’architecture comme d’une arme.
Question d’indépendance
À l’Exposition universelle de 1900, à Paris, la Finlande joue gros et postule pour obtenir un emplacement parmi les autres nations alors qu’elle n’est même pas autonome. Ce coup de force de la Finlande, qui tient à affirmer son indépendance culturelle malgré des décennies de domination suédoise puis russe, se matérialise dans l’architecture, promue emblème de « l’originalité du caractère national ». Le petit pavillon traditionnel de 400 mètres carrés d’Eliel Saarinen eut beau agacer le tsar, il remporta plusieurs prix et signa son acte de résistance avec panache.
Cette propagande architecturale aura un poids considérable sur le développement de cette discipline enseignée librement dans ce pays, aux femmes comme aux hommes. Un pays qui fut aussi le premier à se doter d’un musée de l’architecture dès 1956, institution qui servit de modèle à nombre de ses consœurs.
Helsinki tourné vers l’avenir
Aujourd’hui, Helsinki poursuit sa mutation. Ses quartiers en bord de Baltique et ses zones industrielles sont en voie de reconversion et stimulent nombre d’architectes. Un peu au nord, dans le quartier de Viikki, l’accent est mis sur l’écologie. À Espoo, et plus particulièrement dans le quartier expérimental de Tapiolä, on réfléchit à l’intégration de la nature aux nouvelles constructions.
Partout la ville change. En une quinzaine d’années, elle s’est dotée d’un musée d’Art contemporain et d’un opéra, et vient de s’offrir le nouvel ensemble Kamppi (pas forcément sa plus grande réussite). Elle prend aussi particulièrement soin de ses trésors. Le Tennis Palace, juste à côté de l’incroyable gare néoclassique d’Eliel Saarinen, est aujourd’hui converti en cinéma et centre d’art. La poste centrale, voisine du Kiasma, et son énorme bâtiment des années 1930, viennent d’être entièrement rénovée.
Avec seulement 13 % de leur patrimoine antérieur aux années 1920, les Finlandais misent sur un développement sans académisme fort, ouvert aux influences, tout en gardant leur esprit, placide et rationnel. L’architecture n’est pas là pour jouer et paraître, elle doit s’adapter au climat plutôt rude. Elle est forcément claire, ponctuée de tâches de couleurs vives, tournée vers la lumière naturelle, si timide durant l’hiver et tellement tranchante aux beaux jours ; une architecture facile à vivre et douillette avec style, toujours soucieuse de son aménagement. La philosophie d’Aalto n’est jamais bien loin.
On ne le sait pas forcément mais la France est l’un des rares pays avec l’Allemagne à pouvoir se targuer d’accueillir sur son sol l’une des plus belles créations d’Alvar Aalto, la Maison Carré. Entre Versailles et Chartres, en pleine campagne, la maison du galeriste et collectionneur Louis Carré est ouverte au public depuis peu, dans un excellent état de conservation. Grâce à la Fondation des amis d’Alvar Aalto, tout y a été préservé des murs à l’ameublement, même s’il manque la fabuleuse collection du propriétaire dispersée depuis quelques années. Achevée en 1958, cette maison tranquille de l’extérieur s’agite dès le hall avec une incroyable ondulation à trois courbes plaquée de bois doré qui donne un côté spectaculaire à l’ensemble. La halte s’impose au retour de la visite d’Helsinki pour y retrouver la quintessence du maître, tant en design avec les lampes bidirectionnelles, que dans la grâce de l’architecture (www.maisonlouiscarre.fr). Toujours en France, entre le musée des Arts décoratifs dévolu aux créations de jeunes designers comme Elina Helenius ou Mikko Paakkanen et la Cité de l’architecture qui accueille la biennale d’architecture finlandaise, on ne pourra qu’être convaincu de l’excellence finlandaise. Cette exposition présente, simultanément à Helsinki et à Paris, les deux dernières années de chantiers architecturaux, soit 25 bâtiments parmi lesquels Weegee et le centre culturel Sandels. Programme et informations sur la saison finlandaise 2008 en France sur : www.100pour100finlande.fr
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Helsinki, où l’architecture est une affaire d’Etat
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Abonnez-vous dès 1 €Le Weegee et ses cinq musées, c’est du béton !
Prononcez bien « végué » lorsque vous voudrez vous rendre dans la banlieue d’Helsinki, et plus précisément dans le quartier de Tapiola à Espoo, pour découvrir cet étonnant bâtiment érigé entre 1964 et 1974. Cette ancienne imprimerie transformée en centre culturel avec pas moins de cinq musées, a en effet une structure atypique. Son toit est tenu en suspension grâce à huit gros piliers en béton. Cette merveille technique, œuvre d’Aarno Ruusuvuori, a été confiée au cabinet Airas pour sa reconversion, et s’est vu attribuer le prix du meilleur bâtiment de béton en 2006. www.weegee.fi
L’église de Temppeliaukio ou Temppeliaukion Kirkko
Telle une soucoupe volante posée au milieu de l’ensemble résidentiel d’Etu-Tölöö, cette incroyable église de pierre, érigée entre 1968 et 1969, est l’œuvre des frères Suomalainen. Son toit circulaire dépasse à peine de la gangue de roche qui lui sert d’écrin. Incrusté dans le rocher, le lieu de culte est aussi une fabuleuse salle de concerts, dont les structures sont en totale harmonie avec la forme libre du cadre. La coupole de cuivre s’enroule en un câble continu de 24 kilomètres et magnifie, avec ses 24 mètres de diamètre, l’extraordinaire communion d’un instinct archaïque du religieux et d’une esthétique de science-fiction.
Kiasma, musée d’Art contemporain d’Helsinki
Achevé en 1998, ce musée ultramoderne se trouve à quelques encablures seulement du paquebot blanc, le palais Finlandia, chef-d’œuvre tardif d’Aalto et siège du Parlement. Le Kiasma, réalisation de l’Américain Steven Holl, bâtiment sans clinquant, déploie ses 4 niveaux avec tranquillité et accueille une programmation temporaire de pointe. Les collections permanentes permettent de « goûter » à la création contemporaine finlandaise. Le musée fête ses dix ans d’existence avec une exposition (« Fluide Street », jusqu’au 21 septembre 2008) à la sélection internationale très branchée sur le thème de la rue comme espace social. www.kiasma.fi
La maison d’Alvar Aalto, Riihitien talo
Construite en 1936, cette maison quasi cubique fut pendant longtemps la résidence et l’atelier d’Aalto et de son épouse. On pénètre ainsi dans l’intimité du maître par son espace de travail truffé de détails fonctionnels et raffinés, comme les cloisons coulissantes, avant de s’attaquer aux parties familiales. Particulièrement bien conservée sans donner l’impression de pénétrer dans un mausolée, la maison Aalto est une introduction intimiste aux nombreux bâtiments qui jalonnent la ville d’Helsinki. www.alvaraalto.fi
Le quartier Jugendstil de Katanajokka
Appelé aussi « Romantisme national », l’Art nouveau a connu à Helsinki un essor particulièrement important vers 1900. Si Katanajokka n’est pas le seul quartier « envahi » par ces maisons aux façades densément pigmentées et aux détails architectoniques parfois rocambolesques, comme la maison surmontée d’ours ou certaines portes au bossage rustique digne des habitations de trolls, il est l’un des plus denses. Il faut savoir se perdre dans cette presqu’île surmontée de l’imposante basilique orthodoxe russe et admirer les perles de cette ville inscrite dans le réseau international de l’Art nouveau aux côtés de Bruxelles ou Glasgow.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°604 du 1 juillet 2008, avec le titre suivant : Helsinki, où l’architecture est une affaire d’Etat