PARIS [03.02.12] - Lorsque les mathématiques rencontrent l’art, elles peuvent être chorégraphie,
sculpture, fresque ou paysage. PAR CHRISTIAN SIMENC
De prime abord, aller voir une exposition sur les mathématiques, a tout lieu de la punition, voire de l’acte de repentance. Il n’en est rien. Cette exposition concoctée par la Fondation Cartier, à Paris, et intitulée « Mathématiques, Un Dépaysement soudain » est, au contraire, fort plaisante. Son propos est pour le moins original puisqu’il confronte l’art aux mathématiques. Sachant le sujet « ardu », l’institution n’a pas cherché midi à quatorze heures et résolu l’équation en convoquant des « pointures » internationales : d’un côté, des mathématiciens et des chercheurs réputés – parmi lesquels, le médiatique récipiendaire de la médaille Fields 2010, Cédric Villani –, de l’autre, une flopée d’artistes qu’elle a, pour la plupart, déjà accueilli en ses murs – dont les quasi « résidents » Patti Smith, David Lynch, Takeshi Kitano ou Raymond Depardon.
D’entrée de jeu, l’installation faisant office d’introduction au parcours, signée par le réalisateur David Lynch, plombe quelque peu l’atmosphère. Dans un « temple » un brin emphatique baptisé La Bibliothèque des mystères est, en effet, projeté un film montrant une trentaine de livres – leur couverture plus un cours extrait – « essentiels dans l’histoire des mathématiques et de la pensée humaine en général » (d’après le mathématicien Misha Gromov), comme Fragments (Héraclite), La Géométrie (Descartes), Histoire naturelle (Buffon), Écrits épistémologiques (Hermann von Helmholtz), La Relativité (Einstein), etc. De quoi intimider illico le visiteur. Heureusement, il lui suffit de lever les yeux au ciel pour goûter à davantage de légèreté. Y est projeté, en contrepoint, un film d’animation évoquant, tels des signes cabalistiques, l’échelle des « choses » qui nous entourent : de la particule élémentaire – le plus petit objet que l’on puisse concevoir, de 10-33 cm de rayon – jusqu’à l’univers observable – sphère de 1028 cm de rayon –, en passant par les montagnes, les continents et les étoiles. Simple et vertigineux.
Une expérience sensible
Les mathématiques sont-elles une expression artistique ? À n’en point douter. Elles sont chorégraphie lorsque la main de Cédric Villani « calligraphie » sur le tableau noir la conjecture de Cercignani – problème sur lequel le mathématicien a obtenu ses premiers résultats significatifs –, le tout capté en vidéo par le peintre Jean-Michel Alberola. Elles deviennent sculpture, comme en témoigne Conceptual Form 011 de l’artiste japonais Hiroshi Sugimoto, pièce en aluminium mesurant trois mètres de haut et matérialisant une « surface de révolution à courbure négative constante ». Ou fresque lorsque Alberola, encore lui, peint sur un pan de mur entier, à la manière des imbroglios schématiques de feu l’Américain Mark Lombardi, Un Ciel mathématique à partir d’une sélection subjective des écrits du physicien français Henri Poincaré (1854-1912), telle une cartographie de la pensée du savant. Elles se révèlent paysage dans le film d’animation Les Paradis mathématiques de l’artiste carioca Beatriz Milhazes, dans lequel des équations – tel le principe de Bernoulli – décrivent divers phénomènes naturels – le vol d’un perroquet –, à travers un flux joyeux et bariolé de figures géométriques simples – cercles, carrés, triangles. Les mathématiques sont évidemment expériences scientifiques et technologiques. On peut ainsi voir des images de « l’une des [expériences] la plus importante de notre temps » qu’annonce le guide du visiteur ; celles du satellite Planck, lequel cherche actuellement à capter le rayonnement cosmologique fossile afin de cartographier l’univers primordial. Ou regarder gigoter cinq petits robots à tête de « E.T. » (l’extra-terrestre de Spielberg), dotés de curiosité artificielle et réagissant aux gestes des visiteurs. Ces sciences peuvent être enfin jeu, lorsque l’artiste japonais Takeshi Kitano propose, par l’intermédiaire d’un écran tactile, d’inventer une équation dont le total est égal à 2011, à l’instar des Sangaku nippons, ces panneaux placés à l’entrée des temples en guise d’offrande aux dieux, exposant des problèmes mathématiques, avec ou sans leur solution. Dans un film signé Raymond Depardon (pour l’image) et Claudine Nougaret (pour le son), intitulé Au Bonheur des mathématiques, une dizaine de mathématiciens racontent leur passion. Titulaire de la chaire de théorie des nombres au Collège de France, le mathématicien américain Don Zagier, 60 ans, évoque ainsi « la beauté » des mathématiques : « Elle n’est pas visuelle, ce n’est pas comme une cathédrale. Plutôt comme de la musique, comme une harmonie. Une beauté supérieure. » L’image est splendide – pellicule 35 mm. Le propos jubilatoire.
Commissaires de l’exposition : Jean-Pierre Bourguignon, spécialiste en géométrie différentielle et directeur de recherche au CNRS, Michel Cassé, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et Hervé Chandès, directeur général de la Fondation Cartier
Scénographie : Camille Chenet, chargée de production, Gérard Chiron, conception et réalisation audiovisuelle, Nicolas Tauveron, lumières, Gilles Gioan, installation des œuvres
Jusqu’au 18 mars, à la Fondation Cartier, 261, boulevard Raspail, 75014 Paris, tél. : 01 42 18 56 67
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Abonnez-vous dès 1 €Ergo-Robots : curiosité artificielle et langage, vue de l'exposition « Mathématiques, un dépaysement soudain », à la Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris. © Photo : Olivier Ouadah.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°362 du 3 février 2012, avec le titre suivant : Géométric park