« Design by Animals », autrement dit « dessinés par des animaux ». Le titre interpelle à coup sûr, et le projet n’en est pas moins étonnant. Il y a une lampe en forme de… terrier de lapin. Un vase en céramique moulé dans le trou qu’une patte de chien a creusé dans la neige. Un porte-vêtement en terre cuite dont la surface a été comprimée par… un serpent. Une table en bouleau dont le plateau a été dévoré par des insectes. Et une lampe dont l’abat-jour est un simple fil de fer qui figure l’évolution d’une mouche autour de l’ampoule. Enfin, et c’est peut-être le travail le plus original, des rouleaux de papiers peints qui ont été rongés par des rats. Les trous forment des motifs répétitifs qui, lors de la pose, laissent apparaître la couche précédente, évidemment. « Nous avons demandé aux animaux de nous aider. Bien sûr que nous allons vous aider ont-ils répondu. Nous leur avons demandé : faites quelque chose de beau. Et ils l’ont fait », explique, un brin décalé, Front, groupe formé, en 2003, par quatre Suédoises trentenaires, ou presque, mais pas blondes sauf une. Sofia Lagerkvist, Charlotte von der Lancken, Anna Lindgren et Katja Sävström sont toutes diplômées en design industriel à la Konstfack School of Arts à Stockholm. Leur travail décapant se caractérise par une recherche sur le processus même du design, sur les différents facteurs qui déterminent le résultat final, voire sur les événements extérieurs qui peuvent l’affecter. Dans cette expérience justement, « Design by Animals », le hasard est matérialisé par les animaux eux-mêmes, dont personne ne peut savoir, par avance, ce qu’ils vont produire. En filigrane, le quatuor s’interroge : « Notre relation avec les objets serait-elle différente si leur forme était créée par un animal ? » Sans avoir, pour l’heure, la réponse.
Un objet et son histoire
Au Salon du meuble de Milan, cette année, les designeuses ont présenté un projet intitulé « Histoire de choses ». « Nous voulions savoir ce qui arrivait aux objets une fois qu’ils avaient quitté le magasin, explique Anna Lindgren. Nous avons voulu comprendre comment les objets changent avec le temps et comment les gens les regardent. Pourquoi certains sont aimés, d’autre haïs. » Aussi ont-elles interrogé une centaine de personnes, dans toute la Suède, puis sélectionné quelques pièces et enfin fabriqué de nouveaux objets, une dizaine pour l’instant. Ces derniers sont, en fait, des copies conformes, en résine époxy rouge, d’objets existants : une boîte chinoise, un pot à lait, un plateau de bouche (issu d’une tribu éthiopienne)… Sauf que l’histoire racontée par leur propriétaire a été imprimée sur chaque copie en résine. « Parfois l’histoire qu’il y a derrière un objet est bien plus importante que l’objet lui-même », estime Anna Lindgren.
Faire image
Ne pas croire pour autant que les quatre de Front verseraient un tant soit peu dans un design gentillet. Loin s’en faut car ces demoiselles flirtent aussi avec la haute technologie, jetant au passage un sacré pavé dans la mare du design dit « de communication ». Dans un jeu vidéo ironique, baptisé « Representation of Things » (la représentation des choses), Front aborde le problème de front : « Un objet existe-t-il vraiment s’il n’est pas matérialisé ? » Comme on peut le voir, aujourd’hui, beaucoup de designers, notamment dans le mobilier, travaillent à la visualisation d’objets qui, souvent, ne resteront qu’à l’état d’images. Pis, certains objets ne sont dessinés que pour faire de l’image, non pour une question de fonctionnalité. Bref, autant créer par avance « des objets qui n’existent pas ». C’est ce qu’elles ont fait avec ce jeu vidéo. Un vent frais souffle sur le design. Il vient de Suède.
N.B. : On peut voir certaines créations du groupe Front sur son propre site Internet : www.frontdesign.se
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Front populaire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : Front populaire