Depuis dix ans, Frédéric Lefever photographie frontalement les façades des architectures qu’il croise. S’en dégagent des lignes, des couleurs et des formes élémentaires. À l’occasion de son exposition personnelle à la Galerie Gabrielle Maubrie, l’artiste nous dévoile un pan de ses « Jeux de construction ».
Que présentez-vous dans votre dernière série de photographies à la Galerie Gabrielle Maubrie ?
Un ensemble hétéroclite d’images : devantures de magasins, tribunes de stade, maisons allemandes, cabines de plage, et aussi un garage, une ancienne usine à poisson… J’ai commencé à photographier l’architecture en 1994, cela fait juste dix ans. J’avais envie pour cette exposition de rassembler ce travail et de confronter les images, comme un « jeu de construction ». Mais c’est aussi l’occasion pour moi de faire un bilan, et donc de mieux savoir où je vais.
À quoi faites-vous allusion à travers le titre de l’exposition « Jeux de construction » ? Y a-t-il un lien à l’enfance ?
Il s’agit du titre d’un texte de Christiane Vollaire au sujet de mes photographies. En effet, ma démarche est simple, élémentaire. Lorsqu’un enfant renverse sa boîte de cubes, il se produit sur le sol de sa chambre un désordre, mais néanmoins construit : le cube garde sa stabilité, sa monumentalité. C’est le même désordre que produit la perception de l’architecture urbaine. Mon jeu consiste à mettre de l’ordre dans cette confusion visuelle, ceci en faisant des choix et en ne photographiant qu’une seule face du cube. On peut comparer mon travail sur l’architecture à une collection de papillons, à la fabrication d’un herbier ou à la déclinaison d’un alphabet. En même temps, une simple image n’est jamais simple. Le jeu de construction aide l’enfant à construire un rapport au monde et à lui-même.
Quelles sont les contraintes que vous vous fixez dans votre travail photographique ?
Des contraintes techniques d’abord : j’utilise une chambre photographique posée sur un système de niveaux à bulle, afin d’obtenir une image redressée, comparable à une élévation d’architecte. Des contraintes relatives aux sujets : j’élimine l’architecture du passé, les vieilles pierres, le pittoresque. J’élimine l’architecture pauvre, anonyme. J’évite les images dramatisantes, misérabilistes. J’évite également de travailler dans les grandes métropoles à la mode et les villages touristiques l’été. J’essaie de montrer ce qui n’est pas spontanément visible dans le monde, ce qui se trouve aux frontières d’un intérêt commun. Les contraintes que je me fixe sont les choix que j’opère dans le réel. Tout comme l’orthographe ou la grammaire sont des contraintes du langage qui nourrissent et enrichissent l’imaginaire.
Pourquoi cette frontalité dans vos clichés ?
La mise à plat de l’architecture me permet de poser la question du volume et en même temps d’interroger une surface plane sur laquelle on est plaqué, arrêté. Je laisse le soin au spectateur d’imaginer, en lisant les indices de la façade, ce qui se trouve derrière. Le point de vue frontal me permet aussi de polariser, d’exacerber l’acte de documentation, mais pour le transformer en combinaison picturale. Le renoncement à la perspective décontextualise l’architecture et la renvoie aux jeux élémentaires des couleurs et des surfaces, composant des tableaux photographiques.
En quoi vos photographies se différencient-elles de la photographie allemande des années 1970 (je pense notamment à Berndt et Hilla Becher…) ?
Mes références sont nombreuses et la photographie allemande en fait partie. Un artiste ne surgit jamais de nulle part. Les Becher eux-mêmes connaissaient Auguste Sander et Albert Renger-Patzsch. Le travail des Becher nous parle d’anonymat, d’archéologie, d’archivage, d’exhaustivité, de typologie, etc. Mes préoccupations s’en différencient nettement dans le sens où, dans mes photographies, toute notion de catégorisation est absente. Ma pratique d’inventaire n’est empreinte d’aucun systématisme ni d’aucune froideur. Les façades que je présente ne montrent pas un anonymat ni un rationalisme nivelant mais plutôt le visage, la personnalité, l’individualité, les vanités des habitants. Je me sens beaucoup plus proche d’artistes comme William Christianberry ou Walker Evans, Eugène Atget et même Mondrian, Rietveld ou encore les minimalistes. Finalement, je pense que mon travail a un rapport plus profond avec la tradition française : coloré, bucolique, humaniste, poétique, subjectif, intime, fragile, ironique, léger...
Jusqu’au 1er mai, galerie Gabrielle Maubrie, 24, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, 75004 Paris, tél. 01 42 78 03 97, du mardi au samedi 14h-19h, www.gabriellemaubrie.com
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Frédéric Lefever
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°191 du 16 avril 2004, avec le titre suivant : Frédéric Lefever