Directeur des Rencontres photographiques d’Arles depuis 2001, François Hébel a donné un nouveau souffle au festival.
François Hébel possède un profil plutôt rare dans le milieu de la photographie. Sans être historien ni théoricien, il s’est taillé une place enviée en dirigeant l’agence Magnum pendant plus de dix ans, puis, depuis 2001, les Rencontres internationales de la photographie à Arles (Bouches-du-Rhône). « Il est beau gosse, ce qui n’est pas fréquent dans le monde de la photographie en France, et il parle parfaitement anglais, ce qui est tout aussi rare. Cela fait deux atouts pour s’adresser aussi bien aux institutionnels, maires ou photographes étrangers », indique un fin observateur. Son allure pourrait le réduire au rang de play-boy. Pour l’un de ses détracteurs, « Hébel est un Florentin qui n’a peur de rien. Il sert son réseau et ses copains avant tout.
Sa force, depuis toujours, est une grande facilité à séduire hommes et femmes, à être habile et à le faire sentir ». L’intéressé est parfaitement conscient de cette image. « Plein de gens me trouvent minet, exaspérant. Il faut l’accepter, sinon on passe son temps à se justifier », déclare-t-il sans ambages. « Je suis dans le doute permanent, mais je ne peux pas le montrer aux artistes, car ils ont, eux, le doute le plus difficile à vivre, poursuit-il. Les mécènes, il faut les rassurer. Mon boulot n’est pas de diffuser mon doute, mais de rassurer les autres. » Son très bon bilan de « redresseur » d’entreprises culturelles en faillite joue en sa faveur.
Partout, Hébel a joué les accélérateurs de particules, en injectant une bonne dose d’ambition aux structures qu’il a pilotées. « Il aime agir tout de suite, observe l’éditeur Robert Delpire. On ne peut pas l’imaginer dans le registre du lent. L’immédiat compte beaucoup pour lui, comme si le temps lui était compté. »
Organisateur talentueux
De sa famille de journalistes et de comédiens, Hébel a hérité d’un sens de la communication et du voyage. Les études trop scolaires ne seront pas sa tasse de thé. Il redouble sa première année de médecine, passe deux ans dans un IUT de communication et s’occupe d’une association d’étudiants pour laquelle il monte fêtes et galas. Un stage à la FNAC détermine son parcours. D’abord assistant du responsable des expositions de photos en 1980, il prend la direction de la galerie trois ans plus tard. À l’époque, le magasin était l’un des rares lieux parisiens à montrer de la photographie. En 1982, Jean-Luc Monterosso lui demande d’organiser une fête pour célébrer le Mois de la photo. Il démontre son talent pour l’événementiel en organisant une soirée pour mille personnes à la tour Eiffel. Un talent dont il fera aussi preuve en 1986, lorsqu’il est appelé à diriger une première fois les Rencontres internationales de la photographie.
La manifestation souffrait alors d’un gros trou budgétaire et manquait d’un site d’exposition approprié. Le jeune homme, tout juste âgé de vingt-huit ans, déniche les anciens ateliers de la SNCF. Alors que les caciques de la photo ne juraient que par le noir et blanc et le petit format, il décoince cet univers très verrouillé en introduisant la couleur. Il montrera ainsi le premier travail en couleur de Martin Parr, tout en organisant la première exposition mondiale d’Annie Leibovitz. L’année suivante, il invite Nan Goldin à présenter The Ballad of Sexual Dependency au théâtre antique d’Arles, une première qui restera dans les annales. Côté sponsor, il obtient de Kodak la somme annuelle de trois millions de francs (457 000 euros) sur trois ans. En augmentant fortement l’audience, il renfloue en deux ans le passif de l’événement.
Dans le rôle du pompier
Cette réussite fulgurante ne laisse pas indifférente l’agence Magnum qui l’appelle à la rescousse en 1987. Comme à Arles, il fait office de pompier. « C’était une agence endormie. Il y a apporté une énergie et une vision du futur en comprenant d’emblée qu’il fallait numériser les images, sinon l’agence perdrait de son autonomie », relate Agnès Sire, directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson. Il comprend surtout que cette coopérative ne pourra bientôt plus tirer ses ressources financières de la presse. Il développe alors le secteur culturel, les expositions et commandes institutionnelles. Malgré un bilan des plus positifs, certains photographes de Magnum seront agacés par l’aura envahissante d’Hébel.
« Une agence de photographes, c’est une agence de grands enfants, souligne Agnès Sire. Quand une personnalité comme François commence à capter l’attention, c’est bon pour eux, mais leur ego en prend un coup. » « Même si François est un grand séducteur qui a un sens du marketing, il a toujours été au service des photographes. Il ne s’est jamais substitué à eux », renchérit Christian Caujolle, fondateur de l’agence VU’. En l’an 2000, le passage éclair d’Hébel chez Corbis, en qualité de directeur Europe, sera perçu comme un outrage. Car, entre l’esprit de Magnum et celui très arqué sur la rentabilité de Corbis, il est un abîme.
C’est alors que François Barré, promu président des Rencontres d’Arles, lui propose de reprendre du collier. Hébel insuffle une nouvelle ampleur à l’événement, en augmentant sa fréquentation de 20 % tous les ans depuis 2001. Il relance aussi le mécénat, qui représente aujourd’hui 25 % du budget. Pour élargir le champ de ses propres goûts, plutôt portés sur le documentaire, il confie une année sur deux le commissariat du festival à des vedettes, comme Martin Parr en 2004, ou Christian Lacroix en 2008. On lui reprochera de privilégier ses amis de Magnum, que ce soit au niveau des photographes représentés, comme Joseph Koudelka, ou des commissaires invités, comme Raymond Depardon. La complicité entre le chef d’orchestre et les solistes se révèle toutefois efficace.
« François est très dynamique et fait en sorte que les choses se produisent. Il m’a totalement soutenu quand j’étais le commissaire des Rencontres. Je choisissais, et il levait les fonds pour que les choses puissent se réaliser », se souvient Martin Parr. Invité à monter une rétrospective de son travail l’an dernier, Robert Delpire voit en lui un « homme attentif et chaleureux, qui ne joue jamais le directeur du haut de sa position ».
Un entrepreneur et non un théoricien
Malgré tout, certains spécialistes lui reprochent de ne pas avoir rédigé de textes sur la photographie et de posséder une connaissance en la matière plus empirique qu’approfondie. « Ma compétence se situe dans la compréhension des artistes. Je sais travailler avec des êtres vivants, inquiets, et les aider à trouver leur voie », riposte-t-il. « S’il avait été théoricien, il aurait été incapable d’aller dans des conseils d’administration, de taper aux portes pour chercher des sous. Ce serait un non-sens de demander à un historien d’être à la tête d’un festival.
François peut s’adresser aussi bien à Clément Chéroux [conservateur au Centre Pompidou] qu’au patron de Bouygues ou de France Telecom », défend Agnès Sire. Bref, à défaut d’une souveraineté intellectuelle, Hébel possède une légitimité d’entrepreneur. « Ce qui sera compliqué, c’est de continuer à trouver des directeurs artistiques intéressants après les choix qu’il a déjà faits. Ce n’est pas forcément évident », remarque néanmoins Christian Caujolle. L’épreuve de vérité, pour Hébel, est de faire reconnaître sa pertinence en termes de contenu lors des cuvées sans direction artistique affirmée. Or, en de telles occasions, la programmation se révèle flottante et émiettée, proche du tutti frutti.
Pour le cru 2010, où il a invité une vingtaine de commissaires, on devine des coups et des opportunités, comme le focus sur l’Argentine ou l’invitation faite au producteur Marin Karmitz. Mais il est difficile de distinguer, sur le papier, une véritable construction d’ensemble, encore moins un parti pris. Le dosage entre la découverte et la communication est de plus en plus complexe à maîtriser. Même si les Rencontres font le plein, notamment en dehors de la semaine de vernissage festivalier, l’esprit de la controverse s’est lentement évanoui, faute d’expositions thématiques majeures. Les Rencontres ne sont plus un festival « paroissial », selon la formule de Martin Parr. Intolérants ou simplement intransigeants, les gardiens du temple ont vidé les lieux. En n’étant plus la chasse gardée des mandarins de la photographie, les Rencontres attirent de plus en plus de visiteurs d’autres sphères, notamment de l’art contemporain.
Mais les professionnels, eux, grincent des dents. Cette année, la suppression de la présence gratuite des libraires de bibliophilie sur la coursive de l’espace Van Gogh et la création du Village des rencontres éliminent d’office les éditeurs et libraires qui ne peuvent payer de stand. Point positif, la manifestation est devenue très populaire. « Je ne crache pas sur l’audience, affirme Hébel. Cette année, nous avons rallongé d’une semaine le festival, car, en 2009, nous avions dû refuser des classes entières. Le public est une chose importante, il faut sentir la salle, comme au théâtre. »
1958 Naissance à Paris
1983 Directeur de la galerie de photographies de la FNAC
1986 Directeur des Rencontres internationales de la photographie à Arles (Bouches-du-Rhône)
1987 Directeur de l’agence Magnum
2001 Directeur des Rencontres internationales de la photographie à Arles
2009 « 40 ans de rencontres – 40 ans de ruptures » à Arles
2010 « Du lourd et du piquant », Rencontres d’Arles, du 3 juillet au 19 septembre
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François Hébel directeur des rencontres d’Arles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°325 du 14 mai 2010, avec le titre suivant : François Hébel directeur des rencontres d’Arles