En prenant l’art au sérieux, le président de Voies Navigables de France (VNF) tranche dans le milieu des politiques et des patrons. Portrait d’un chef d’entreprise éclairé.
L’habit ne fait décidément pas le moine. Au premier coup d’œil, la veste autrichienne tendance « retour de chasse en Sologne » de François Bordry le classerait dans la catégorie des notables classiques. Or, le président de Voies Navigables de France (VNF) n’est pas un amateur de scènes de biches dans les sous-bois. Loin des clichés, cet ancien politicien relève de la famille des développeurs humanistes. « Il a une qualité rare dans ces milieux égocentriques de l’art et de la politique : il est à l’écoute de l’enthousiasme des autres, qu’il arrive à partager, observe Alain Julien-Laferrière, directeur du Centre de création contemporaine (CCC) de Tours. Il s’engage vite. Son équation, c’est je dis-je fais. » Des politiques, Bordry en a le pragmatisme. Une lucidité sans cynisme, transcendée par sa fréquentation assidue de l’art et des artistes. « Si mon travail l’intéresse, c’est peut-être qu’il est resté un grand enfant, il reste dans un état de rêve, indique l’artiste Fabien Verschaere. Son travail en est le symbole, dans le rapport à l’eau, les bateaux, les voyages, comme le chemin de traverse entre Peter Pan et les histoires de pirates. Il est un gentil pirate écoutant le chant des sirènes. »
Issu de la bourgeoisie campagnarde, François Bordry conserve quelque chose de terrien. De bourgeois aussi, mais bourgeois décalé. Son bac de philo en poche, il suit le trajet hypokhâgne-khâgne, et songe à l’enseignement. Centriste dès l’âge de dix-huit ans, il participe à la création d’un syndicat et se frotte aux événements de mai 1968. « J’étais ni gauchiste, ni réactionnaire, confie l’intéressé. Je suis allé dans les manifestations, mais pas dans les premiers rangs, et je me tirais à cinq heures du matin pour ne pas prendre de coups. » Après avoir achevé sa licence de lettres et son certificat d’étrusque, il intègre Sciences Po et lorgne déjà du côté de l’Europe. En 1972, il entre au Parlement européen dans le groupe centriste pour rejoindre deux ans plus tard les services de l’information. En 1979, il arrive au cabinet de Simone Veil, dans une période difficile, où la parlementaire est chahutée à gauche comme à droite.
Un fervent Européen
On le devine, cet Européen convaincu ne digère pas la France du « Non ». Il tolère mal aussi l’absence de l’art dans les discours des présidentiables. Pour Bordry, la culture n’est pas un gadget électoral ni une cerise sur le gâteau. Grâce à un marchand de tableaux, vieux cousin de la famille, il apprend très tôt à regarder les toiles anciennes, s’initie au Caravage, à Poussin ou de La Tour. En poste au Parlement européen à Luxembourg, il multiplie les sauts de puces en Allemagne et à Bruxelles, où il découvre Georges Minne et Constant Permeke. Le virus lui est depuis resté. « Avec sa femme, ils peuvent faire 500 kilomètres pour voir une église romane ou une exposition d’art contemporain, indique le galeriste Michel Rein. Pour eux, aller voir les fresques d’Arezzo ou une exposition pointue d’art actuel, c’est pareil. Ils sont partants pour tout. »
L’art contemporain, Bordry ne le découvre que vers 1988, alors qu’il est conseiller pour la Région Centre. Deux ans plus tard, il préside le Fonds régional d’acquisition des musées et siège au conseil d’administration du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Centre, dont il prend la présidence en 1998. Loin de considérer cette fonction comme un simple strapontin, il cherchera à installer le FRAC dans la durée en lui offrant une stabilité budgétaire. « Rien n’était pourtant gagné, le FRAC avait mal démarré avec des œuvres médiocres, rappelle Alain Julien-Laferrière. François s’est dit que dans une région de châteaux, il fallait proposer un FRAC Architecture. Son apport a été décisif pour imposer ce choix et donner à cette collection le temps nécessaire à sa construction. » Bordry se prend vite au jeu, pistant un Shigeru Ban avant qu’il ne soit starifié. « Il a fonctionné sans a priori, ce qui est unique, indique Frédéric Migayrou, conservateur au Centre Pompidou. C’est facile de demander à Tadao Ando ou Zaha Hadid, plus courageux de faire appel à Odile Decq ou Jakob & McFarlane. »
Un fin collectionneur
Le FRAC stimule aussi sa propre collection. Dans sa maison de maître à Puiseaux (Loiret), Monsù Desiderio, Maurice Denis ou Léopold Survage cohabitent avec Fabrice Hyber, Franck Scurti et Philippe Ramette. « Je suis resté très éclectique, je n’ai pas un esprit critique très vif, j’absorbe avec pas mal d’intérêt tous les mouvements », confie-t-il avec modestie. Une humilité dont il fait d’ailleurs preuve face aux artistes, même si ses grilles de lecture sont bien plus aiguës qu’il ne veut l’avouer. « La force de Bordry, c’est de ne pas avoir une passion pour les objets, mais pour les hommes. Il a un respect pour la position sociale du créateur dans la cité », insiste Frédéric Migayrou. Un créateur qu’il ne cherche pas à s’approprier, mais dont il souhaite comprendre l’univers. De fait, il leur ouvre parfois la porte, commandant ainsi une fresque à Verschaere pour son appartement vénitien. « C’est quelqu’un de fidèle, qui suit réellement notre travail tout en respectant l’univers dans lequel on évolue, confie Fabien Verschaere. Je pense que pour lui l’aventure au sens large est importante. Quand il m’a demandé de faire une fresque, il avait envie que ma mythologie rentre chez lui. Accepter que quelqu’un envahisse son territoire, c’est un signe de confiance extrême. » À voir le cercle resserré de ses connivences artistiques et sa tendance à piocher essentiellement des artistes chez Michel Rein, on peut se demander si l’homme ne cède pas trop à l’affect et à l’amitié. « Il sait recevoir les bons messages des bonnes personnes dans le bon sens », confie un proche.
Lorsqu’il prend le gouvernail de VNF en 1994, cette vieille administration souffre d’une image
surannée, entre L’Homme de Picardie et L’Atalante. Rien de mieux que l’art pour la dépoussiérer. Depuis 1996, Bordry fait appel à des créateurs pour la réalisation de la carte de vœu annuelle. Il a aussi commandé des trophées à Delphine Coindet et à Jérôme Basserode. Pour le dixième anniversaire de VNF, Fabrice Hyber a fait le tour des canaux et édité un livre pour l’occasion. Bordry a même réussi à porter deux commandes publiques par Didier Faustino et Jeppe Hein, lesquelles seront réalisées cette année sur le Canal du Rhône au Rhin. Son souhait de jouer les ligatures entre l’art, la politique et l’entreprise trouve un beau terrain de jeu dans le projet de réaménagement des Confluences à Lyon, où VNF est propriétaire de huit hectares. Pour cela, Bordry lance un concours d’architecture tout en prêtant depuis 2003 le site de la Sucrière à la Biennale d’art contemporain de Lyon, dont il est le vice-président. L’ancien bâtiment des douanes redessiné par Jean-Michel Wilmotte et l’artiste Krijn de Koning devrait quant à lui être livré en juillet. Malgré ces avancées, Bordry peine toujours à secouer des mentalités campées sur une architecture lambda. « François veut ce qui est le plus prospectif, pointu, il va vers ce qui dérange, explique Marie-Ange Brayer, directrice du FRAC Centre. Il a toujours mis la barre très haut, mais il a derrière lui des services plus conformistes et consensuels. »
De fait, cet homme reste un ovni dans la sphère des politiques et des grands patrons. « À droite, comme à gauche, on s’aperçoit que les hommes politiques n’ont pas compris la culture, regrette-t-il. La seule différence, c’est que les gens de gauche savent mieux l’instrumentaliser à des fins politiques. Les élus regardent la culture sous l’angle touristique ou de la communication. Ce monde est très à part, il n’est plus représentatif de la population. Ce sont souvent des professionnels de la politique. » Et de rajouter : « il y a plus d’ouverture sur la culture du côté des chefs d’entreprise que des politiques. » Son courage ne se limite pas à l’intégration de l’art dans ses projets. Il l’a aussi prouvé en restant droit dans ses bottes alors que ses amis de la droite républicaine jouaient le jeu des triangulaires avec le Front National lors des élections régionales de 1998. Son refus de pactiser avec le diable grippera sa carrière politique. Plutôt que de mettre de l’eau dans ses convictions, Bordry en a mis dans ses ambitions. Il se contente aujourd’hui d’un maroquin d’adjoint au maire de Puiseaux et de président de la communauté de communes de ce canton. Quand le credo l’emporte sur l’ego.
1947 Naissance à Quimper 1979 Rejoint le cabinet de Simone Veil au Parlement européen 1994 Présidence de VNF 1998-2005 Présidence du FRAC Centre 2001 Lancement de deux commandes publiques de Jeppe Hein et Didier Faustino pour VNF 2003 VNF, partenaire de la Biennale de Lyon 2007 Réhabilitation du bâtiment des Douanes par Jean-Michel Wilmotte dans le quartier des Confluences à Lyon
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François Bordry
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°258 du 27 avril 2007, avec le titre suivant : François Bordry