MARSEILLE
Signe évident de la folie des grandeurs qui s’est emparée des élus dans toute la France sous l’empire de la décentralisation, l’Hôtel du département de Marseille, œuvre de William Alsop, a coûté environ un milliard de francs. Mais, la réalisation massive a peu à voir avec le projet lauréat, et est discutée.
MARSEILLE - À Los Angeles, les bâtiments servent de repère dans l’immensité de la mégalopole. L’une de ces célèbres balises est le Pacific design center, œuvre de Cesar Pelli, baptisée la baleine bleue. À Marseille, l’Hôtel du département, qui frappe par son bleu gendarmerie, pourrait jouer le même rôle, mais il a hérité du surnom de "maison des schtroumpfs".
L’Hôtel du département des Bouches-du-Rhône a pris position au nord de la ville, en périphérie de l’agglomération. Le quartier Saint-Just à Marseille, un bel exemple déjà d’incohérence urbanistique, s’est transformé en piste d’atterrissage pour objets architecturaux bizarroïdes. Il y a cette soucoupe dérivée d’un walkman, le Zénith de Marseille, financé par la ville, et cette plate-forme tout droit sortie de Bladerunner, l’Hôtel du département. Cette cohabitation provoque l’une des plus belles cacophonies urbaines de cette fin de siècle, car tout oppose les deux bâtiments.
William Alsop n’est responsable que du géant bleu, un bâtiment de 120 mètres de long et de cinquante mètres de haut, véritable casse-tête pour les ingénieurs du célèbre bureau d’études londonien Ove Arup, habitués à l’extrême rationalité. Pour construire ce monument marseillais, il y eut un concours international, auquel 90 équipes avaient répondu. La finale s’est jouée entre deux architectes britanniques, Foster qui avait conçu une cathédrale de verre, et Alsop associé à l’époque à Lyall.
Mais le bâtiment que nous voyons aujourd’hui n’a rien à voir avec le projet lauréat du concours, délirant certes, mais au moins inspiré. L’architecte romain Fuksas l’avait d’ailleurs farouchement défendu devant le jury. Le résultat, après seize moutures différentes, est massif. Avec ses 80 000 m2, c’est une véritable cité administrative, bien desservie par le métro qui arrive sous l’Hôtel du département. "Le bâtiment impressionnera les habitants non par sa monumentalité, mais parce qu’il invitera à y entrer", avait annoncé l’architecte britannique.
En effet, on ne peut être qu’intrigué par ce mastodonte qui se caractérise par deux faces bien distinctes, l’une plate, l’autre très saillante. Du côté de la voie rapide, l’Hôtel du département se présente bizarrement, dans une sorte de chenille métallique portée par des pattes de béton. Alsop y a logé les salles d’assemblées. Cette aile "délibérative" est reliée à un gros bloc, qui rassemble les autres fonctions du bâtiment, par des passerelles de verre. Ensuite viennent les barres de bureaux, une de dix étages, une de cinq, prenant en sandwich un immense atrium de verre, qui se protège de la chaleur par un système de toiles mobiles sous la verrière zénithale.
Bel espace public que ce hall balisé par des poutres en X géantes sur un sol en pente ! Sous cette généreuse voûte transparente, qui ne demanderait qu’à abriter une œuvre d’art contemporain, un édifice ovoïde attire l’œil : c’est l’espace d’information pour les visiteurs.
La composition de ce monument s’achève par un autre boudin sur pilotis coiffant l’ensemble du bâtiment. Il abrite l’exécutif. Les directeurs sont logés dans cet appendice, le président du conseil général, Lucien Weygand, en tête.
Depuis la fin juin, les services du conseil général sont en place ; 1 600 personnes travaillent dans ce bâtiment, fierté de son commanditaire : "conçu en gradins, organisé autour de passages et d’espaces inscrits tout en lumière, il est le symbole de la civilisation méditerranéenne", commente Lucien Weygand.
Andrée Putman a mis son grain de sel dans cette cuisine anglo-marseillaise. Elle signe quelques intérieurs, comme les ambiances bois de la salle de délibération.
Alsop a fait appel à quelques artistes, Bruce Mc Lean un touche-à-tout, et Brian Clark, artiste britannique, souvent partenaire des architectes (notamment Foster avec qui il a travaillé sur le magnifique terminal de l’aéroport de Londres-Stansted). À Marseille, on peut lire ses motifs gravés sur le bleu des façades comme des tatouages sur une peau de verre.
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Folie des grandeurs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Folie des grandeurs