Fondateur de l’Atlas Group, Waalid Raad expose à Noisy-le-Sec les archives du Dr Fakhouri.Un personnage fictif pour raconter la guerre civile au Liban.
NOISY-LE-SEC - L’Atlas Group a été fondé en 1999 par Walid Raad pour constituer des archives sur l’histoire des guerres civiles qui ont meurtri le Liban de 1975 à 1991. Né en 1967, l’artiste a pris un nom de collectif pour classer des documents selon trois catégories : « Type A », correspondant aux documents recueillis et attribués à des personnes imaginaires ; « Type AGP », pour ceux recueillis et attribués à l’Atlas Group ; « Type FD » enfin, pour ceux recueillis et attribués à des anonymes. Le fonds du Dr Fakhouri, actuellement présenté à la Galerie de Noisy-le-Sec, provient du Type A. Il contient les dossiers légués par la veuve du professeur, lequel passe pour être un des plus éminents historiens du Liban contemporain. Une historiographie intime de l’histoire, d’autant plus subjective qu’elle se double du régime fictionnel imposé par son passage dans les archives de l’Atlas Group. Dans l’inventaire figurent des photographies de Fadl Fakhouri lors de son voyage en Europe à la fin des années 1950 ou encore le Volume 38, titré Already Been in a Lake of Fire dont les planches recensent quelques-uns des modèles de voitures utilisées pour des attentats entre 1975 et 1991. Collées sur des feuilles de papier, les images d’automobiles sont accompagnées d’un texte en arabe manuscrit où sont fournis la date et le lieu de la déflagration, le nombre de victimes, l’explosif employé… Face à cette typologie morbide, une autre, d’apparence plus anecdotique, fait allusion à l’un des passe-temps favoris des historiens libanais. Sur les champs de course, ceux-ci pariaient sur le temps écoulé entre le franchissement de la ligne d’arrivée par le cheval gagnant et sa saisie par le photographe. Regroupés sous Volume 72 : Missing Lebanese Wars, les carnets de notes du Dr Fakhouri autour de ces clichés de course commentent les écarts et renvoient évidemment à celui existant entre l’histoire et la mémoire, la vérité et le témoignage. Comme l’indique son titre, The Truth Will Be Known When the Last Witness Is Dead (la vérité sera connue quand le dernier témoin sera mort), la proposition de l’Atlas Group se construit sur cette faille. Les histoires de l’Atlas Group ne sont pas plus vraies que notre « guerre du Liban » vue d’Europe : un décompte des jours de détention des otages aux journaux télévisés de 20 heures et le nom de Beyrouth devenu synonyme de ruine. Elles ne sont pas non plus aussi fausses que celle décrite dans Fièvre guerrière par J. G. Ballard, une nouvelle où l’écrivain fait du Liban un laboratoire d’expérimentation maintenu en conflit permanent par l’ONU. Elles sont seulement nourries simultanément par un auteur, une mémoire et une attente collectives, et des suggestions de fictions à consolider, images à l’appui. Pour toutes ces raisons, le dispositif épars de l’Atlas Group est proche du cinéma. Une des pièces laissées par Fadl Fakhouri (l’historien avait en effet l’habitude de se promener avec deux caméras) est d’ailleurs un film en deux bobines. Sur la première, intitulée No, Illness Is Neither Here Nor There, il imprimait un photogramme chaque fois qu’il croisait une enseigne de médecin, sur la seconde, il faisait de même, mais cette fois seulement quand il croyait que la paix allait arriver. Les images hétéroclites de Miraculous Beginnings sont à projeter comme une somme de promesses constamment repoussées.
Jusqu’au 7 février, La Galerie, 1 rue Jean-Jaurès, 93130 Noisy-le-Sec, tél. 01 49 42 67 17, mardi, jeudi et vendredi 14h-18h, mercredi 10h-18h, samedi 10h-12h30 et 14h-18h. Walid Raad réalisera une performance le vendredi 30 janvier à 20 h 30 aux Laboratoires d’Aubervilliers (tél. 01 53 56 15 90)
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Fiction friction
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : Fiction friction