Feuilleton lorrain

DELME - La cristallisation amoureuse chère à Stendhal a trouvé son terrain d’étude dans le Saulnois, « pays du sel ». Invitées à la Synagogue, le centre d’art contemporain de Delme (Moselle), Louise Hervé et Chloé Maillet, familières de l’endroit puisqu’elles ont été accueillies en résidence en 2008 non loin de là, à Lindre-Basse, se plaisent à y mettre en scène l’histoire locale. De ce contexte minier le duo a su tirer le sel pour échafauder un récit qui n’en manque pas…

Nées toutes deux en 1981, Louise Hervé et Chloé Maillet ont commencé à travailler ensemble en 2001, la première étant issue de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy quand la seconde est docteure en anthropologie historique (École des hautes études en sciences sociales). Connues pour leurs films ou leurs performances (1) où elles apparaissent le plus souvent vêtues d’un tailleur noir et les cheveux en chignon, offrant au public une visite guidée ou une conférence aussi érudites que riches en digressions, dans la filiation d’un Raymond Hains (dans l’esprit) ou d’un Éric Duyckaerts (dans l’esprit et dans la forme), elles n’ont encore été que peu exposées au travers d’objets uniquement. Au Frac Champagne-Ardenne à Reims, une forme intermédiaire était proposée l’automne dernier, avec un médiateur disant un texte lié à leur belle intervention en trompe l’œil sur les murs de la chapelle de l’ancien collège des jésuites (2).

Genre rocamboleque
À Delme, les artistes s’effacent derrière le drôle de feuilleton qu’elles ont imaginé dans la grande tradition pour le quotidien Le Républicain lorrain et dont les épisodes successifs y sont publiés chaque jeudi tout au long de l’exposition. Enchâssant, dans une veine gothique, un récit dans un autre, Attraction étrange nous emmène à la suite de « la Ghita » visiter une mine de sel dont les grottes forment les niches de reconstitutions historiques. Régine et Étienne, touristes, y croiseront la figure vengeresse de l’orfèvre renaissant Benvenuto Cellini ou celle, prestigieuse, de Pythagore.

Au fur et à mesure de la parution des épisodes, les pages du journal viennent se glisser sous un presse-papier de verre conçu d’après la modélisation en bois de différents cristaux de sel par Pasteur. Un dispositif de lecture qui court le long des murs de la grande salle du rez-de-chaussée. À l’étage, le duo, qui affectionne les réserves des musées et particulièrement leurs « objets mésestimés », a disposé sous vitrine un ensemble de pièces d’époque romaine ou liées à l’extraction du sel, objets rapportés des collections archéologiques de Delme, ainsi que des musées du sel (Marsal) et barrois (Bar-le-Duc). Associés de manière anachronique mais en lien avec la narration, poignards, « crâne avec des marques de coups », plaques-boucles, fioles et iguane naturalisé fournissent ici le suppôt matériel aux images mentales nées de la lecture du texte d’Attraction étrange. Et le visiteur de tenter d’en deviner le dénouement, probablement scabreux, à l’aide des indices qui lui sont livrés avant l’heure.

Pourtant, si tous les ingrédients d’une histoire rocambolesque sont réunis, celle-ci semble demeurer en attente d’un corps ou d’une voix qui lui conférerait un supplément de « présence ». Ce sera chose faite le 22 avril avec la lecture du texte par un comédien sollicité tout spécialement à cet effet par les artistes.