Corse

Fesch Passionnément

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 26 février 2013 - 800 mots

Le Musée des beaux-arts d’Ajaccio, en collaboration avec le Frac Corse, explore le thème de la passion en confrontant des œuvres anciennes souvent mineures à l’art contemporain.

AJACCIO - Malgré son allure hyperbolique, il faut prendre le titre de l’exposition d’hiver du Musée Fesch au pied de la lettre : c’est d’abord du registre insistant de la passion dans la peinture, en particulier italienne, nécessairement présente dans une collection comme celle du musée d’Ajaccio que trouve son origine le principe de l’exposition conçue en collaboration avec le Frac Corse, (Corte).

Mais la grande affaire dans les collections du Palais Fesch – en plus d’un bâtiment rénové et d’un parcours remarquable, ce sont ces ensembles autour des primitifs et de la peinture baroque, spécialement romaine et napolitaine. À côté de dépôts des collections nationales et du Louvre, il faut souligner comment l’ensemble, constitué ainsi d’œuvres mineures ou méconnues, offre des registres thématiques et iconographiques tout à fait remarquables. Cela permet une exposition, chevauchant sur le mouvement de sécularisation de la période moderne, qui ouvre la boîte de Pandore des passions humaines données à voir jusqu’à l’art le plus contemporain. Si le parti de mêler art ancien et contemporain est devenu un geste banal (et pas toujours très nécessaire, avouons-le), cette exposition porte beaucoup plus loin que l’artifice muséographique en prenant, avec verve voire culot, le parti de rapprochements et de confrontations saisissants, mettant en évidence que la représentation des passions ne manquait pas de cruauté et de crudité dans les siècles passés : la sensualité à la Nan Goldin croise cette souffrante héroïne du martyrologue chrétien, un rien sado, sainte Eulalie, campée très nue résistant aux assauts de soldat (bien sûr romains et cuirassés) qui lui brûlent à la torche seins et chevelure, peinte par Laurent Didier Detouche (1845). Descendu d’une église de Haute-Corse, le panneau de quatre mètres de haut compte au nombre de ces pièces peu vues que l’on pourrait dire « mineures » et ouvrent justement avec une liberté du « mineur » des registres iconographiques et thématiques plus rares ou plus librement traités.

Prendre son temps

L’exposition, évoluant selon un parcours assez libre dans les salles du musée, conduit très vite le spectateur à rentrer dans les images et à suivre les échauffements de passions réunies là avec sensation, mais sans rien de sensationnel. Les passions sont d’abord intérieures, on le sait bien ! Mais elles appartiennent aussi à nos cultures communes, voire à leur genre pour les peintres du passé. Le visiteur est vite transformé en anthropologue, porté par l’allégorie, la métaphore et autres figures familières des siècles passés pour sonder les valeurs d’aujourd’hui. En échange, l’image contemporaine apporte sa faculté dénotative, elle fait voir ou revoir l’iconographie ancienne par l’anachronisme de l’accrochage. Du coup, le parcours, rythmé en pas moins de dix-huit salles distribuées sur trois des quatre étages que compte le musée, demande de prendre son temps. Les quatorze sections (de l’Extase à l’Origine, du Désir à l’Engagement), restent thématiquement assez larges pour ne pas transformer les œuvres en illustration d’un « discours ». Dès lors, non sans s’égarer s’il le souhaite dans l’accrochage des collections, le visiteur tisse ses fils. Véronèse et Sophie Calle, Honoré Daumier et Antoni Muntadas, Paul Klee et Louis Léopold Boilly, Courbet, Titien, Ange Leccia ou le collectif espagnol Democracia avec Ser y durar (vidéo, 2011, coll. Frac Corse), Stéphane Steiner qui, en basculant des images de western, fait apparaître en crucifié les cowboys morts, l’anthropophagie amoureuse par Serge Comte ou le baiser de Léda de Véronèse, une vidéo de Marie-José Burki côtoyant une Nature morte à la raie, aux crabes et aux coquillages du XVIIe siècle (Felice Boselli) : la tension sensible, voire sensuelle, des œuvres laisse libre cours aux passions. La photographie y a sa pleine place aussi, y compris la photo document, comme celle qui clôt le parcours, sans grand mérite plastique, sous l’aspect de Robert Badinter défendant l’abolition de la peine de mort, au titre de la passion politique. Construit à partir des collections des deux institutions corses mais aussi d’emprunts à des collections particulières, aux musées nationaux, à divers Frac du sud de la France, l’exposition fait aussi l’objet d’un catalogue où, à défaut de la qualité de certaines reproductions, on trouve un autre parcours possible. Les commissaires, Anne Alessandri et Philippe Costamagna qui dirigent respectivement Frac et Musée, ont associé leurs regards dans une collaboration généreuse et ancrée dans une culture intense et familière.

Passionnément

Nombre d’œuvres : 133 œuvres
Commissariat : Anne Alessandri, directrice du Frac Corse, conservateur en chef du patrimoine, Philippe Costamagna, directeur du Palais Fesch-Musée des beaux-arts, conservateur des musées de la ville d’Ajaccio

Passionnément,

jusqu’au 25 mars, Musée des beaux-arts, Palais Fesch, Ajaccio, www.musee-fesh.com, 04 95 26 26 26, Lundi, mercredi et samedi 10h-17h. Jeudi et vendredi 12h-17h, dimanche 12 h-17h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Fesch Passionnément

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