Fanny de Chaillé, l’art de la chute

Ça vous dit quelque chose ? Signé Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, véritable icône du romantisme, intrigue depuis longtemps la metteur en scène française. Et si ce dandy, pris de vertige devant l’immensité verticale, basculait dans le comique ?, se demande-t-elle un jour. Tombait – mieux, dégringolait – de son idéal pour y remonter de plus belle ? On l’aura compris : la chute – gadin, glissade, pelle – sera le motif, le seul et l’unique, de Chut ! Et son décor : une anamorphose à taille humaine signée Nadia Lauro (sa complice plasticienne). Perspective déformée donnant aux spectateurs l’illusion d’un relief escarpé. Du Friedrich mélangé à Holbein.

Depuis quelques années, Fanny de Chaillé navigue avec une remarquable aisance entre danse, performance et théâtre. Elle nous avait habitués à triturer le langage, le modelant (comme une pâte argileuse ou organique) jusqu’à lui faire perdre le sens. Pour Chut, elle choisit le silence (des hauts sommets) et la solitude (du solo). C’est Grégoire Monsaingeon, un comédien, qui joue ici les Buster Keaton – car, à la différence des danseurs, « il n’a pas appris à tomber », insiste Fanny de Chaillé. Corps maladroit à la capacité d’adaptation virtuose qui s’inspire du cinéma burlesque. Enlevez à Chaplin son chapeau, et on pourrait presque le confondre (tenue vestimentaire oblige) avec notre voyageur perché sur son rocher ! En définitive, le monde de Chut est un monde qui se casse la gueule et s’offre, à l’occasion de vols planés, quelques moments de grâce. Un monde qui ressemble étrangement au nôtre, avec ses hauts et ses bas, littéralement déséquilibré. Un monde où la chute – la honte, la peur, l’échec – n’est pas mortelle. « J’aime les losers », nous lance Fanny. Celui-là devrait être magnifique. Sublime ?