Trois amples expositions institutionnelles permettent d’aborder en profondeur l’œuvre de Fabrice Hyber. Entretien avec un artiste revenant en force sur le devant de la scène française.
Frédéric Bonnet : Comment l’idée d’organiser simultanément ces trois expositions dans trois institutions est-elle venue ?
Fabrice Hyber : Le Mac/Val m’avait proposé il y a un an et demi une exposition pour mars 2012, puis Olivier Kaeppelin et Jean de Loisy ont de concert décidé de faire une exposition en même temps [dans les lieux qu’ils dirigent respectivement], à la Fondation Maeght et au Palais de Tokyo. J’ai alors pensé y adjoindre le Mac/Val afin de générer une grande dynamique et de créer un lien entre les lieux. Je n’avais pas été présent sur la scène parisienne depuis une douzaine d’années, ou seulement avec des projets hors du milieu de l’art comme L’Artère au parc de la Villette ; j’étais donc un peu décalé. Il se présentait là l’opportunité de relire ce que j’ai mis en place depuis une vingtaine d’années et de le montrer de manière assez forte. L’importance d’un tel projet était de donner à voir mon univers, même si la partie graphique de mon travail est finalement très peu exposée, et uniquement au Palais de Tokyo.
F.B. : Que souhaitiez-vous pointer et comment se sont répartis les différents travaux ?
F.H. : J’ai d’emblée séparé les « Peintures homéopathiques » afin d’en faire une rétrospective à la Fondation Maeght. C’est un lieu qui peut supporter ce type d’accrochage et cela me permettait de faire juste un geste, les murs devenant comme des pages d’écriture. C’était aussi une expérience nouvelle pour moi de les présenter presque toutes d’un seul coup, 22 peintures sur un total de 30 exécutées. Ensuite j’ai souhaité rassembler presque tous les « POF » au Mac/Val – il y en a 160 au total –, afin de les offrir au public pour qu’il les teste, de lui donner ainsi des possibilités d’agir sur le réel. J’ai mis en place ce genre d’interaction avec les visiteurs il y a longtemps. Il fallait que je le rende encore plus visible et je pense que c’est là assez bien réussi, grâce à un mur de 50 mètres de long où sont projetées en permanence 126 vidéos suivant un quadrillage, comme une sorte de jeu où les pensées fourmillent. C’est comme notre pensée à tous, nous n’avons pas une pensée unique mais une pensée multiple. Elle est dans l’image mais aussi dans le fonctionnement par rapport à notre corps.
F.B. : Le Palais de Tokyo présente beaucoup d’œuvres nouvelles et l’exposition propose deux cheminements : l’un au niveau du sol avec une confrontation directe aux travaux, et l’autre sur une coursive surplombant l’ensemble, lequel tient plus de la contemplation. Voyez-vous les choses ainsi ?
F.H. : C’était fait pour cela en effet. Dans un musée ou une exposition, on a coutume de passer devant les œuvres. Là, c’est comme si à chaque fois qu’on passait devant une œuvre on y entrait également. Sur la coursive on surplombe les pièces, c’est un chemin plus classique. De plus tous les dispositifs de fabrication d’une œuvre sont à décortiquer et à replacer afin de créer une sorte de « spa mental ». Dans la deuxième salle par exemple, on traverse tous les dessins sur tissu, qui sont une nouvelle façon de travailler : je fais beaucoup de dessins, je les colle les uns aux autres et les protège avec une résine. Tous les systèmes sont décortiqués et replacés là dans un fonctionnement autre, où le corps est mis en jeu. Par exemple, un tableau n’est pas seulement une image, c’est de la matière. Et toutes les « matières premières » de l’œuvre sont remises en scène afin de procéder à une remise en forme mentale.
F.B. : D’une manière générale, souhaitez-vous développer une œuvre qui apparaisse en mouvement constant, pour ce qui est tant de l’objet que des « Peintures homéopathiques » par exemple ?
F.H. : L’important est l’aspect non fini. Par exemple mon premier tableau était un Mètre carré de rouge à lèvres (1981)… qui n’est jamais sec ! Quand on fabrique les choses, on ne pense pas forcément au fait que ce soit fini ou pas ; la fabrication est pour moi beaucoup plus importante que la chose elle-même. Il est donc important que tous ces moments de production durent le plus longtemps possible, toute ma vie pratiquement, et même bien au-delà j’espère, car je pense que ces moments-là sont vraiment des moments d’art. Un objet sur un mur ou posé sur un socle, ce n’en est plus. Il est important pour moi de maintenir une forme d’activité.
F.B. : Dans chacune des expositions apparaît un rapport à la transformation et à la métamorphose. Est-ce important d’installer un processus transformatif de l’œuvre ?
F.H. : Il est important de ne jamais être définitif justement. Et puis surtout de ne pas tout rendre propre en permanence. L’œuvre existe car elle est vue, cassée, développée… Cela nécessite de savoir regarder la transformation comme une chose positive et non négative. Si quelqu’un casse quelque chose, il faut que je puisse digérer cela pour en faire du positif ; ce n’est pas simple mais je pense y parvenir pour ma prochaine exposition…
FABRICE HYBER. MATIÈRES PREMIÈRES, jusqu’au 7 janvier 2013, Palais de Tokyo, 13, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01, www.palaisdetokyo.com, tlj sauf mardi midi-minuit.
Voir la fiche de l'exposition : Fabrice Hyber : Matières premières
FABRICE HYBER. PROTOTYPES D’OBJETS EN FONCTIONNEMENT, jusqu’au 20 janvier, Mac/Val, place de la Libération, 94400 Vitry-sur-Seine, tél. 01 43 91 64 20, www.macval.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, samedi-dimanche 12h-19h. Catalogue, éd. Mac/Val, 310 p., 25 €.
Voir la fiche de l'exposition : Fabrice Hyber : Prototypes d’Objets en Fonctionnement (POF)
FABRICE HYBER. ESSENTIEL, jusqu’au 6 janvier, Fondation Marguerite et Aimé Maeght, 623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul de Vence, tél. 04 93 32 81 63, www.fondation-maeght.com, tlj 10h-13h, 14h-18h. Catalogue, 188 p., 40 €.
Voir la fiche de l'exposition : Fabrice Hyber : Essentiel, peintures homéopathiques
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Fabrice Hyber : « Tous les dispositifs de fabrication sont décortiqués »
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Abonnez-vous dès 1 €Fabrice Hyber, au Palais de Tokyo, Paris - 2012 © Photo : Didier Plowy
Vue de l'exposition de Fabrice Hyber "Matières Premières" au Palais de Tokyo - 2012 © photo Ludosane
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Fabrice Hyber : « Tous les dispositifs de fabrication sont décortiqués »