Vu par Ernesto Neto (né en 1964 à Rio de Janeiro, au Brésil), le Panthéon, symbole républicain, se pare d’atours dont rythmique et sensualité sont les composants essentiels. Impressionnant de précision dans la gestion de l’espace et des masses, Léviathan Thot (2006), sorte de monstre anthropomorphe dévorant les lieux, transfigure le monument. Cette installation est une commande publique émanant du ministère de la Culture et de la Communication/délégation aux Arts plastiques et Centre national des arts plastiques, ainsi que du Festival d’automne.
Le Panthéon est un lieu chargé d’histoire. Comment avez-vous pensé à un tel monument dans l’élaboration du projet ?
Le Panthéon a connu une évolution très importante depuis son statut d’église à celui de temple républicain. Et il renferme le pendule de Foucault, un monument dans le monument qui définit divers degrés de lecture et de signification. L’œuvre devait donc se situer dans cet entre-deux. Je ne l’ai pas conçue seulement à l’intérieur de cette architecture et de cette histoire, mais aussi à l’extérieur du pendule. Elle est comme comprimée entre les deux, ainsi que nous le sommes entre la nature et la culture. C’est dans cet entre-deux entre nature et culture qu’apparaît Léviathan Thot.
Pourquoi usez-vous de ces références anciennes ?
Cette pièce a un aspect anthropomorphe dans sa structure même, c’est un monstre. J’ai pensé au Léviathan du Livre de Job, dans la Bible, un livre clé de notre civilisation. C’est à partir de là que nous avons commencé à construire notre société démocratique, en laquelle nous croyons. Nous croyons que c’est « notre » société, « notre » gouvernement ; ils sont nos extensions. Mais toute réalité existe, car elle comporte une part d’abstrait, d’intouchable, d’invisible. Je pense qu’elle devient donc un autre monstre. Et je crois maintenant, au début du XXIe siècle, que celui-ci aura produit tout ce qui s’est passé, non seulement les espoirs que le XIXe siècle a mis dans le futur et le progrès, mais aussi une grande frustration. Et notre aveuglement total, alors que nous avons les moyens de tout voir. À travers le Léviathan, l’idée était de parler de tout cela.
À ce « monstre social », vous avez adjoint Thot, une divinité égyptienne.
Thot est le gardien du savoir et des écrits. J’avais besoin de mettre quelque chose sur le Léviathan pour en diluer l’idée, car je ne voulais pas que celle-ci soit trop lourde. Je découvre progressivement ce que Thot représente pour moi dans cette situation. Tout d’abord, Thot Thot Thot Thot [l’artiste prononce « touch »]… : la sensation de toucher. Même si vous ne touchez pas l’œuvre, tout est toucher. Et puis, dire Léviathan Thot…, cela crée un rythme, et je crois que le rythme est une des choses les plus importantes dans notre culture contemporaine. Il y en a d’ailleurs beaucoup dans cette œuvre, et je m’intéresse particulièrement à la danse, car la communication est une danse. Aujourd’hui, je réécrirais volontiers le titre en le scindant en trois : « Lévia Than Thot ».
Revenons à l’aspect anthropomorphe…
L’œuvre comprend deux structures : une colonne, placée autour du pendule et qui vit dans le corps, et le corps lui-même. C’est l’idée de la colonne et de la poutre. La colonne est un fort représentant de la culture. Nous la faisons pour élever quelque chose, c’est un acte rationnel, une volonté de comportement. Le corps va avec la sensation, le désir et l’instinct. C’est ce qui nous fait bouger, car, même si nous sommes rationalistes, nous ne bougeons pas sans passion. Mais nous essayons de la contrôler afin d’organiser et de ne pas détruire l’ordre. C’est pourquoi j’ai voulu cette seconde partie, qui serait le corps tombant du sommet, totalement géométrique et symétrique, reprenant le schéma du bâtiment.
Avez-vous sciemment introduit une dimension sensuelle dans ce monument républicain ?
Je ne suis pas vraiment sensible à ce symbole de la Nation car je ne suis pas français. Mais évidemment je le comprends. Je pense que si nous devons parler de notre république et de notre système social, nous avons besoin de plus de sensualité. C’est très certainement une donnée que nous devrions prendre plus en compte dans notre construction sociale.
En regardant l’œuvre, l’équilibre semble parfois précaire…
Nous construisons toutes ces colonnes, ces institutions, pour supporter notre équilibre. Mais en réalité, même quand nous sommes très forts, notre vie se définit selon un équilibre précaire.
Il paraît impossible d’embrasser l’œuvre dans sa totalité.
Selon le point de vue d’où vous la regardez, vous ne voyez plus certains aspects qui sont pourtant toujours là. Vous commencez donc une reconstruction mentale, ce qui vous permet aussi d’en comprendre la construction. Vous pouvez déconstruire dans votre esprit pour reconstruire, c’est tout l’objet de mon travail. En fait, il faut fermer les yeux pour en voir la totalité. Parfois je dis qu’avec mon travail j’aimerais penser à travers mes pores.
Jusqu’au 31 décembre, Panthéon, place du Panthéon, 75005 Paris, tél. 01 53 45 17 17, www.festival-automne.com, tjl 10h-17h15, nocturne le jeudi jusqu’à 22h30.
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Ernesto Neto : « J’aimerais penser à travers mes pores »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°245 du 20 octobre 2006, avec le titre suivant : Ernesto Neto