Trop rare en France, Jim Hodges occupe les salles de la galerie d’art graphique du Centre Pompidou, à Paris, avec un accrochage tout en délicatesse où la multiplicité des matériaux est mise au service d’une lecture singulière des liens à soi, à l’autre et à la nature.
D’où vient votre intérêt pour la nature visible dans toute l’exposition, à travers le camouflage peint sur les murs à l’extérieur, mais aussi de nombreux motifs d’arbres ou de fleurs ?
J’ai grandi dans le nord-ouest des États-Unis, dans l’État de Washington. La maison de mes parents était en lisière de la ville. Il y avait des bois tout proches où je jouais beaucoup. Ce sont des endroits où je me sentais très confiant et qui activaient mon imagination, or mon travail est purement de l’imagination. La nature est donc devenue une sorte de point d’entrée, y compris pour moi-même, où je peux projeter des idées. Il est intéressant d’identifier une source, car si je ne sais dire avec précision quand je suis devenu artiste, ni où tout a commencé, je peux regarder en arrière et voir d’où je viens, où sont mes passions, où je me retrouve moi-même, et l’endroit où je suis heureux. La relation à mon propre corps dans la nature est en outre importante, car mon corps est l’outil qui me guide dans mon processus artistique. La grandeur de la nature me fournit également des références d’échelle, tout en constituant une sorte de localisation de moi-même. Elle fonctionne parfaitement avec moi et m’offre en même temps une sorte de mystère, de violence et de beauté. Mais c’est de m’installer en ville, à New York, qui m’a, je crois, permis de prendre position, car c’était un changement radical.
En visitant l’exposition, la principale sensation qui se dégage est la fragilité, à travers notamment la toile d’araignée en fines chaînettes (Hello, Again, 1994-2003), des découpages ou les fleurs dessinées sur des serviettes en papier (A Diary of Flowers, Seen by You, 1992-1993). Est-ce une exploration ?
C’est quelque chose que j’ai en effet exploré à travers des idées de gamme, d’aspect des choses. Je m’intéresse à un spectre, à une sorte d’approche sphérique des éléments. Pour moi, la fragilité, la légèreté ou les gestes les plus frêles font en même temps face à beaucoup de gestes massifs et brutaux. C’est cette vaste étendue qui me motive. Il est intéressant de voir comment une exposition comme celle-ci se focalise sur un aspect spécifique de ma pratique qui est le dessin, où le délicat est révélé par le plus lourd, car souvent le plus fragile des matériaux peut porter le contenu le plus pesant. Ces espèces de conflits m’intéressent énormément.
On sent aussi qu’il est beaucoup question de disparition, ou d’un manque…
Oui, disparition et transformation qui constituent une forme de vivacité. Je ne crois pas aux fins mais plutôt aux processus et aux changements ; je crois en ces genres de continuums. La démarcation des événements et les points de transition sont une sorte de langage que j’utilise lorsque je pense.
L’exposition s’intitule « Love, etc. ». En la parcourant, beaucoup de choses sont perceptibles en lien avec l’amour, mais qu’est-ce que le « etc. » ?
Je ne saurais pas vraiment répondre. Ce titre m’a été proposé par Jonas Storsve, le commissaire, et je l’ai trouvé très beau. Pour moi, il offre une sorte de point d’interrogation, qui est ma ponctuation favorite, car ce que je trouve être le plus excitant sont les questions telles que « quoi d’autre ? », « qu’est-ce que cela signifie ? », et le point d’interrogation. J’ai donc plaisir à ne pas être vraiment sûr de ce qu’est le « etc. ». Et cela ouvre beaucoup de choses dans la discussion.
Des dessins sont intitulés A Year of Love (1993), un autre Happy IV (The World) (2000-2001)… Pourquoi est-il si important de vous focaliser sur l’amour et le bonheur ?
Certainement que tout est très concentré sur ma vie et répond à une sorte de machinerie émotionnelle, un mécanisme du corps afin d’opérer ces idées dans mon travail. Les titres des œuvres sont intéressants car ils appliquent un langage fait de mots à une expérience visuelle. Le langage constitue une part de ma pratique, et les titres deviennent une façon de rechercher une autre manière de faire. Parfois, j’essaye de trouver les matériaux textuels appropriés à ajouter aux matériaux de l’œuvre, à leur partie physique. J’ai souvent trouvé la solution aux questions posées par une œuvre à travers le titre et le langage, à travers ces notions de joie, d’amour, de liberté, de plaisir… Mais on peut aussi y inclure parfois la tristesse, le sombre, la douleur, et pas seulement l’amour.
JIM HODGES. « LOVE, ETC. », jusqu’au 18 janvier, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75001 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue, éd. Centre Pompidou, 96 p., 70 ill., 24,50 euros, ISBN 978-2-84426-428-2
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Entretien avec Jim Hodges
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°313 du 13 novembre 2009, avec le titre suivant : Entretien avec Jim Hodges