PAROLES D’ARTISTE

Entretien avec Beat Streuli

« Apporter dans le désert des images de grandes villes du monde »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2008 - 918 mots

Cet été, le photographe suisse Beat Streuli (né en 1957) a présenté du 9 juillet au 9 août, dans le cadre du Jordan Festival, une œuvre monumentale sur le chemin d’accès du site antique de Pétra. Parallèlement, il bénéficie jusqu’au 19 octobre d’une exposition personnelle au Musée des arts contemporain – Site du Grand Hornu, en Belgique. L’artiste a répondu à nos questions en Jordanie.

Comment est né votre projet à Pétra ?
Cyril Pigot [commissaire artistique du Jordan Festival] m’a contacté il y a quelques mois. Il était difficile pour moi d’accepter parce qu’en même temps je préparais cette grande exposition pour le MAC’s au Grand Hornu. Mais ce projet semblait tellement spécial et monumental que mon envie de me lancer dans cette aventure a été trop grande pour que je refuse. Il fallait procéder assez vite et trouver quelque chose de relativement simple à réaliser mais aussi d’impressionnant pour ce site. Je ne suis venu sur place qu’une seule fois. J’ai fait un aller-retour éclair de 36 heures à Pétra sans avoir le temps de visiter le site antique proprement dit. Nous nous sommes concentrés sur le chemin en construisant une palissade de 5 m sur 160 m, sûrement la plus grande installation que j’ai jamais faite. L’idée était d’y placer de très grandes affiches provenant de différentes villes où j’ai travaillé ces cinq dernières années.

Ces images préexistaient donc.
Oui. Procéder à cette sélection a été très intéressant. Il fallait trouver les images clés de cette période et d’en faire une composition très simple.

Quel est le message que vous vouliez transmettre à ces gens qui pénètrent dans ce site chargé d’histoire ?
[Mon] travail [tente] justement [d’éluder toute forme de] message, même si ce n’est pas totalement possible. Il est très surréaliste d’apporter dans le désert des images issues surtout des grandes villes du monde. Ce contraste permet justement à l’œuvre de fonctionner. C’est aussi une réflexion sur tous ces visiteurs qui arrivent du monde entier. L’une des qualités des personnes qui ont construit Pétra était leur très grande ouverture sur les autres cultures. Les gens qui vont voir cette installation en tireront sûrement quelque chose.

N’aviez-vous pas aussi envie de réaliser une série en Jordanie ?
Pendant ma première très courte visite, j’ai pris quelques photos que j’envisageais de présenter à Amman. Mais nous avons annulé cette exposition à la dernière minute parce que le projet de Pétra a été plus compliqué que prévu.

Y a-t-il des résonances entre les images montrées à Pétra et celles exposées au Grand Hornu ?
Ces deux projets sont vraiment nés en même temps. Je présente au MAC’s plusieurs grandes installations créées spécialement pour cet espace. J’y présente un très grand wallpaper comme celui que j’ai mis à Pétra sur les palissades. Cela correspond à l’actualité de mon travail. Pour moi, ce sont deux grands beaux projets comme l’on n’a pas l’occasion d’en avoir tous les jours. Il y a une certaine connexion.

Comment avez-vous choisi les œuvres du MAC’s ?
Le MAC’s n’est pas le désert, mais il est situé dans une région un peu éloignée du reste du monde. J’y ai conçu un parcours et j’ai essayé de réagir à son environnement, à ses espaces. Sur ce chemin, je présente un wallpaper de 45 m de long. J’aime beaucoup le fait que l’on puisse regarder les images en passant. Les photos ont elles-mêmes été faites en passant. Quelqu’un m’a dit que j’avais fait de cet espace intérieur une espèce de rue. Ce n’est pas faux.

Vous faites vos images en passant, mais aussi en prenant du recul par rapport à vos sujets.
Oui, mais il ne faut pas s’imaginer que c’est une grande distance. Il s’agit plutôt de 7 ou 8 m. Je suis donc très présent et fais partie de la foule. C’est une distance que je cherche uniquement pour des raisons pratiques. Je cherche toujours le moment où il y a un certain naturel dans les mouvements et les expressions du visage.

Cherchez-vous aussi une certaine introspection ?
Oui, c’est presque automatique quand l’on se promène et que l’on pense. C’est quelque chose que j’aime beaucoup. J’ai toujours cette curiosité sur l’homme, sur l’autre et les différentes manières de vivre.

Quelles différences constatez-vous entre les pays quand vous photographiez ?
Je constate bien sûr des différences, mais en même temps, bizarrement, l’on cherche plus souvent les différences que les ressemblances. Or, les gens sont certainement semblables à 95 % entre la Jordanie et Zurich et génétiquement encore plus. Mon travail est aussi une réflexion sur ces similitudes. Je ne cherche pas du tout à dire que tout est pareil. Car dans chaque pays l’on sent des nuances.

Ce projet à Pétra est le plus grand que vous ayez jamais fait. Votre travail ne s’inscrit-il pas de plus en plus dans une certaine forme de monumentalité ?
Si je n’étais pas devenu artiste, j’aurais peut-être été architecte. J’aime beaucoup travailler sur les espaces urbains, sur les bâtiments, les cinémas, à une échelle réelle.

La ville est votre univers.
Oui, parce que c’est quelque chose qui n’a ni début ni fin. Je ne suis pas quelqu’un qui cherche de nouveaux thèmes tout le temps. Je suis fasciné par ce champ, la ville et ses habitants, qui m’offrent des possibilités illimitées. Aujourd’hui, si on veut parler de développements, de changements dans mon travail, c’est très visible dans les formes de présentation. Ces changements résident aussi pour moi beaucoup dans les images, mais c’est vrai que le grand public les discerne peut-être un peu moins vite.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : Entretien avec Beat Streuli

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