Encore nouveau, toujours réaliste

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 2 août 2007 - 1039 mots

À défaut du Centre Pompidou, les Galeries nationales du Grand Palais accueillent l’hommage longtemps attendu au Nouveau Réalisme.

 PARIS - Le dernier des grands « ismes » européens du siècle moderne, le Nouveau Réalisme, complète aujourd’hui son inscription dans l’histoire, du haut de son demi-siècle d’âge. Même dompté par le temps et par le musée, ce moment de contradiction, de culot, d’énergie libératrice, d’expérimentation, d’inquiétude sociétale et de jubilations noires garde une bonne part de son caractère intempestif. Avec du « Nouveau » qui l’historicise en le baptisant, et du « Réalisme », en écho à un débat esthétique vieux comme l’art occidental, le nom a un fort « pouvoir coagulateur », selon celui qui le formula, le critique Pierre Restany.
Rendue possible par l’engagement du Sprengel Museum Hannover (Hanovre) au côté du Centre Pompidou et de la RMN, l’exposition du Grand Palais fait événement parce qu’elle était nécessaire et attendue (la dernière remonte à 1986, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris), et par son ampleur et l’importance des artistes qu’elle réunit, alors que nombre de ses acteurs disparaissent. Mais aussi à cause de la question qu’elle pose à la scène artistique et culturelle contemporaine, à l’heure où un esprit de revanche et de retour à l’ordre n’a de cesse de réaffirmer la clôture du contemporain sur l’idée de style artistique. Le Nouveau Réalisme apparaît au moment d’un tournant dans le régime de l’art, en termes tant de redistribution de la légitimité artistique à l’échelle du monde que de nature de l’acte artistique et de nécessité de la production symbolique. Une bascule dont Restany a pris la mesure, par-delà son millénarisme de faiseur d’histoire ; lui qui carbura à cette « énergie cosmique » goûtée avec Yves Klein et qui lui valut, jusqu’à sa disparition en 2003, un insatiable appétit de nouveauté artistique. En 2000, il assume toujours aussi clairement sa vision un rien prophétique d’une « ligne anthropologique partant du Nouveau Réalisme pour aboutir à une esthétique de la communication planétaire véhiculée par Internet ».

Ruines urbaines
Le parcours de l’exposition se propose comme une histoire à plusieurs vitesses, alors que les œuvres réunies composent par elles-mêmes d’incessantes figures de la temporalité, de la durée hors du temps de la vanité classique à l’instantanéité du geste ultime : la lacération des affichistes est ici exemplaire, mais aussi le devenir-signe de l’objet – avec la fracture et le rebut comme inséparables revers du monde des objets. Le mouvement – machinique et célibataire – et l’image mouvante du cinéma renvoient à l’instantané, à l’éphémère, au présent et à la modernité menaçante du rythme urbain, et surtout à l’après-coup, à la ruine toujours déjà-là. D’où cette atmosphère nostalgique qui imprègne le parcours entre mémorial, mémorable et amnésie plus ou moins volontaire du temps de la reconstruction. Comme si l’on pratiquait une autopsie sur un corps vivant.
L’un des enjeux qui traversent la manifestation tient à cette adresse des œuvres à l’individualité du regardeur, par la littéralité des objets empruntés au monde quotidien, par l’anthropomorphisme présent jusque parmi les machines et par l’échelle privée des objets comme des œuvres elles-mêmes (là où, à l’inverse, le pop rend tout public). La notion d’ « individuation », telle que le philosophe Gilbert Simondon la développait à la même époque, pourrait paraître aujourd’hui plus juste que celle d’« appropriation », « objectivation de l’expérience vécue par un seul individu prédestiné, l’artiste ». « Appropriation du réel », ou maître-mot du Nouveau Réalisme selon la conception restanienne bien spiritualiste et presque prémoderne de l’artiste, à l’opposé de l’anti-héroïsme d’un Jacques Villeglé avec son personnage du Lacéré anonyme.
Le découpage globalement chronologique et thématique par salle rend compte du nouage tactique du Nouveau Réalisme autour de Restany. Mais aussi de l’importance des expositions, jalons stratégiques de la reconnaissance du mouvement et conditions de la production même des artistes, étant donné la dimension performative de beaucoup de leurs travaux. On retrouvera donc au gré de la présentation la liste-litanie des fondateurs (Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Yves Klein, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Villeglé, César, Mimmo Rotella) avec des œuvres significatives et plutôt bien choisies. Y est associé le premier cercle élargi des Niki de Saint Phalle, Christo et Gérard Deschamps, ainsi que nombre de ceux qui partagèrent ce territoire, de Gil J. Wolman à Jean Pierre Raynaud en passant par Daniel Pommereule, Günther Uecker, Erik Dietman, Wolf Vostell, Alain Jacquet.

Histoire contemporaine
Films et enregistrements sonores ponctuent heureusement çà et là le parcours. Les élargissements géographiques profitent aussi aux expositions (le « Dylaby » à Amsterdam en 1962, occasion de la belle reconstitution à Paris de l’Espace basculé de Spoerri) comme aux échanges et confrontations, en particulier avec les artistes américains (de « Art of Assemblage » en 1961 au MoMA à « New Realists » en 1962 à la galerie Sydney Janis, à New York). L’argumentation est plus documentaire ici, demeurant bien modeste en pièces (un Lee Bontecou, un Combine de Robert Rauschenberg et l’incontournable Five, LE Jasper Johns du Musée national d’art moderne). Mais au final, l’ouverture du cercle initial d’artistes produit un heureux effet de sens et de perspective. Enfin, au risque de perdre le fil sans doute illusoire des gestes fondateurs dessinés dans la première partie de l’exposition, les dernières salles, où apparaissent de belles pièces d’un Martial Raysse sous sa formule ironique de « l’hygiène de la vision », laissent ouverte une histoire décidément bien proche de notre présent. C’est cette vérification qui produit le plus positif effet de l’exposition : que les œuvres, même celles qui relèvent de trace, du fragment, penchent plus vers l’aujourd’hui que vers l’embaumement de mausolée, pour qui veut les saisir dans leur puissance de sens largement intacte. Comme cette magnifique et terrible Sculpture à l’explosif (1963) de Gérard Deschamps, dont la déflagration tonne encore longtemps quand on a quitté le Grand Palais.

NOUVEAUX RÉALISTES

Jusqu’au 2 juillet, Grand Palais, square Jean-Perrin, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr, tlj sauf mardi 10-20h, mercredi jusqu’à 22h. Cat., coéd. RMN/Centre Pompidou, 352 p., 49 euros, ISBN 978-2-7118-5248-2 À lire : Villeglé, Flammarion, coll. « La création contemporaine », 39 euros, ISBN 2-0801-1640-1 ; Le Nouveau Réalisme, Pierre Restany, Transédition, 208 p, 17 euros, ISBN 978-2-8025-0024-7

NOUVEAUX RÉALISTES

- Commissariat général : Cécile Debray (RMN) - Commissaires associés : Ulrich Krempel (Sprengel Museum Hannover) et Camille Morineau (MNAM) - Nombre d’œuvres : environ 160

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°257 du 13 avril 2007, avec le titre suivant : Encore nouveau, toujours réaliste

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