Exposées à Bâle, les œuvres récentes d’Andreas Gursky affichent un monde où la réalité contemporaine n’est pas représentée, mais (re)construite par l’artiste.
BÂLE - L’image est curieuse : une succession d’immenses vitraux en grisaille, au travers desquels filtre la lumière, alignés à touche-touche sur la paroi d’un édifice gothique. Rien ne vient en perturber la lecture, pas même un pilier. Si elle garde des caractères réalistes, Kathedrale I (2007) n’en fait pas moins état d’un usage intensif de la retouche numérique, mise ici au service d’une homogénéisation de l’ensemble et d’une lutte contre l’entrave à l’harmonie décorative.
Pour l’essentiel composée de travaux récents, l’exposition consacrée à Andreas Gursky, au Kunstmuseum de Bâle, en Suisse, pointe parfaitement son évolution vers un usage plus affirmé de la composition et de la modification informatique, comme dans Cocoon (2007), un de ces vastes panoramas chers à l’artiste, où la foule de jeunes gens dans un nightclub semble étrangement réduite en regard d’un décor devenu totalement irréel, occupant qui plus est les deux tiers de la surface. Les modifications du réel apparaissent là patentes, comme s’il était devenu nécessaire d’en affirmer clairement l’existence.
Si Gursky a toujours usé de la retouche, sans jamais trop mentionner jusqu’à quel point, ce virage témoigne de l’importance croissante de l’outil informatique dans la conception même de ses images. Certaines compositions, à l’instar des clichés figurant en vis-à-vis les arrêts aux stands de deux Formule 1 (F1 Boxenstopp III et IV, 2007), sont construites avec une rigueur géométrique et une organisation des masses si précises qu’une fidèle retranscription interdirait. Parfois, ce n’est même plus le motif qui provoque l’image mais l’inverse, quand un travail déjà précisément élaboré nécessite en second lieu de trouver un endroit pour le mettre en scène, telle cette vue d’un hall de l’aéroport de Francfort (Frankfurt, 2007). Une autre conséquence de l’usage informatique tient dans la plasticité particulière qui ressort de ses photographies. Le traitement de la couleur, mais aussi du motif lui-même induisent une étrange consistance de la matière, ni réelle ni vraiment irréelle non plus, comme on le constate dans les trois James Bond Island (2007) photographiées en Thaïlande.
Le goût de l’artiste pour une recherche ornementale issue de l’environnement se trouve parfois exacerbé lorsqu’il se focalise sur des détails, comme la vue du plafond du siège du Parti communiste français (PCF, Paris, 2003). Ou sur des dispositifs de grande ampleur, dont l’organisation même est à la fois cause et conséquence du soucis ornemental : les photos prises en Corée du Nord, lors de grandes manifestations « festives », sont à cet égard édifiantes (série Pyongyang, 2007). L’ornementation, conjointe à un certain assèchement du motif, fait en outre basculer quelques images vers le pictural, en particulier les deux photos d’un circuit où la route totalement « nettoyée », sinueuse au milieu des sables, évoque immanquablement l’abstraction picturale et provoque le trouble (Barhain I et II, 2005 et 2007).
Forces contradictoires
Porté par un balancement constant entre le vide et les effets de masse, l’ordre et le désordre, le global et le local, l’ensemble de l’œuvre semble utiliser ces forces contraires pour tenter de composer une vision du monde la plus juste possible, non dans sa fidélité de reproduction, mais dans sa capacité à cerner l’essence même de la contemporanéité.
L’artiste se fait l’intrus d’un quotidien dont il cherche à s’emparer de la structure et des lignes de forces. Non pour donner à voir un instant, mais pour tenter d’approcher en quoi les situations particulières, dont il rend compte sont des composantes fondamentales d’une époque. Jamais documentaire, son approche tient plutôt d’un témoignage qui se veut en profondeur, en quête d’une part cachée ou difficilement visible de ce qui constitue le monde, tels les flux humains et financiers (Kuwait Stock Exchange, 2007), ou la consistance territoriale.
Visuellement séduisante et pas dénuée d’intérêt, cette approche n’en comporte pas moins quelques dangers et effets pervers. À commencer par celui d’une déréalisation qui par trop poussée contredirait la volonté initiale.
- Commissaires : Bernhard Mendes Bürgi, directeur, Nina Zimmer, conservateur, Kunstmuseum Basel - Nombre d’œuvres : 25
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Edifier le réel
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 24 février, Kunstmuseum Basel, St. Alban-Graben 16, Bâle, tél. 41 61 206 62 62, www.kunstmuseumbasel.ch, tlj sauf lundi 10h-17h, mercredi 10h-20h. Catalogue, éd. Hatje Cantz, 128 p., ISBN 978-3-7757-2019-9.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°268 du 2 novembre 2007, avec le titre suivant : Edifier le réel