La manifestation conduite cette année par Stéphanie Moisdon et Hans Ulrich Obrist
s’annonçait prometteuse. Trop sûrement, vu l’étendue du naufrage.
LYON - En finance, il existe les fonds de fonds. En art, voici désormais les commissariats de commissariats. Comme les premiers, les seconds ont sur le papier tout pour séduire : ils semblent moins risqués puisque plus diversifiés. Mais comme pour eux aussi, les performances ne sont pas toujours au rendez-vous. Pour la Biennale de Lyon 2007, il s’agit même d’un euphémisme tant l’exposition est loin des espoirs que l’on pouvait légitimement placer en elle.
Certes, ses deux concepteurs, Stéphanie Moisdon et Hans Ulrich Obrist, ont fait preuve dès le départ d’une imprudence sémantique en s’aventurant sur le terrain du jeu. N’est pas Surréaliste qui veut ! Cette fois, le duo n’a pas invité des artistes, mais des commissaires, eux-mêmes rebaptisés des « joueurs ». Ne restaient plus qu’à trouver les… « pions » prêts à prendre le départ pour ce grand jeu de l’oie de l’art. On a connu langage mieux choisi surtout quand on sait le mal qu’a déjà l’art contemporain pour être pris au sérieux.
La démarche des concepteurs partait malgré tout d’un bon sentiment. Il est aujourd’hui bien difficile d’avoir une vision globale de la scène artistique mondiale, et plus encore d’être au courant des pratiques qui se développent au niveau local. En s’appuyant sur un réseau de commissaires répartis aussi bien en Europe, qu’aux États-Unis, en Inde ou en Chine, il devenait envisageable de déterminer « l’artiste ou l’œuvre qui occupe une place essentielle dans cette décennie ». Chaque commissaire du premier cercle a donc invité un artiste, parfois un compatriote, souvent un plasticien qui est apparu sur la scène ces dernières années. L’intérêt d’un tel patchwork tient évidemment aux découvertes que l’on peut y faire. Mais malheureusement, cela ne suffit pas à faire une (bonne) exposition. Chaque commissaire semble finalement ici avoir disposé d’un stand, comme sur une foire, sans qu’aucun lien n’ait pu se nouer entre les œuvres et les artistes. Sans contrôle ni propos, la biennale devient un collage dénué de sens, de pensée et d’horizon.
Balance rééquilibrée
Ce naufrage affecte surtout La Sucrière, où, à défaut d’avoir su maîtriser l’espace, nombre d’œuvres peinent à habiter les lieux. L’Institut d’art contemporain de Villeurbanne s’en sort beaucoup mieux, lui qui fait la part belle aux projections, de Seth Price à Keren Cytter, en passant par les propositions de Claire Fontaine.
Le Musée d’art contemporain joue, lui, une autre partie, le second cercle. Dans le premier, la cinquantaine de commissaires s’est lancée dans de vastes recherches pour trouver l’artiste essentiel de la décennie, mais ils n’ont malheureusement pas dû bien regarder du côté de la scène française. Un seul, Pierre Bal-Blanc, en choisissant Annie Vigier et Franck Apertet, a su trouver du talent sur notre sol. Le musée rééquilibre la balance avec les artistes sélectionnés par Pierre Joseph et surtout avec l’étage conçu par Saâdane Afif. Ce dernier a réuni une quarantaine d’artistes en un hommage justifié à Patrice Joly et à la scène nantaise, l’une des plus dynamiques de l’Hexagone depuis une quinzaine d’années. La liste des invités parle d’elle-même, avec Delphine Coindet, Virginie Barré, Claude Closky, Dewar & Gicquel, Mrzyk & Moriceau, Mathieu Mercier, Loris Gréaud, Didier Marcel, Bruno Peinado et tant d’autres. Même s’il a fallu ici loger les œuvres au chausse-pied, cet ensemble dégage une belle énergie et tient toutes ses promesses, surtout face au triste spectacle d’un autre étage. Les strip-teaseuses de Tino Sehgal n’ont plus qu’à se rhabiller !
Jusqu’au 6 janvier 2008, La Sucrière, Les Docks, 47-49, quai Rambaud, Lyon 2e ; Institut d’Art Contemporain, 11, rue du Docteur Dolard, Villeurbanne ; Fondation Bullukian, 26, place Bellecour, Lyon 2e ; Musée d’Art Contemporain, Cité Internationale, 81, quai Charles de Gaulle, Lyon 6e, www.biennale-de-lyon.org, tlj sauf lundi 12h-19h, vendredi 10h – 22h. Cat., 304 p., 28 euros, ISBN 978-2-84066-221-1.
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Drôle de jeu
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Abonnez-vous dès 1 €- Direction artistique : Thierry Raspail - Conception : Stéphanie Moisdon et Hans-Ulrich Obrist - Nombre d’artistes : 116 - Budget : 6,53 millions d’euros
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°266 du 5 octobre 2007, avec le titre suivant : Drôle de jeu