Lille 2004

Design sans frontières

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 24 septembre 2004 - 826 mots

En trois expositions, le Tri Postal pose la question des rapports entre l’art et le design.

 Lille - Pour sa troisième et ultime saison dans son costume de « Capitale européenne de la culture 2004 », Lille a choisi de faire la part belle au design. Principale manifestation : la triple exposition qui occupe la totalité de l’édifice du Tri Postal.
Au rez-de-chaussée sont rassemblées des œuvres emblématiques récentes de l’artiste néerlandais Joep van Lieshout et de son fameux « Atelier Van Lieshout » (AVL). L’installation est baptisée « AVL, la vie est belle ». Et la vie, selon AVL, est un manège enchanté mu par trois carburants : la communauté, le recyclage et… le sexe. Le tout étant le plus souvent intimement lié. Y cohabitent donc des sculptures en tout genre, parfois effrayantes, et des objets déjantés, quoique fonctionnels : du mobilier au mobile home. L’Alpha with Chicken Coop est un poulailler de luxe, logé dans une Alfa Roméo 2,5 TD. Et Total Faecal Solution, une machine infernale dans laquelle les excréments humains sont recyclés pour produire de l’eau, du compost et du bio-gaz (sic !). Enfin, la Womb House est un noyau habitable – WC, cuisine, douche, chambre, mini-bar… – en forme… d’utérus, « l’endroit le plus sécurisant possible », selon Van Lieshout.

Art-design, de la distinction au brouillage
Au 1er étage, « Trafic d’influences : Art & Design » se révèle être une version sérieusement augmentée – doublée – de l’exposition « Aménager la maison, habiter le musée », montée par le FRAC (Fonds régional d’art contemprain) Nord - Pas-de-Calais, entre avril et juin, au centre d’art contemporain de la villa Croce, à Gênes (lire le JdA n° 193, 14 mai 2004). La scénographie signée par l’artiste Stéphane Calais et le designer Christian Biecher, qui mêle rouleaux de moquettes colorée – la peinture ? l’art ? – et murs de caisses de bière – l’industrie ? le design ? –, dévoile quelque 150 pièces sur les 700 qui composent la collection du FRAC. Le parcours se déroule en trois temps : de la distinction claire entre art et design (« Voies parallèles ») au brouillage complet entre les deux disciplines (« Glissements »), en passant par un juste milieu (« Intersections »), quand l’artiste se prend pour un designer, et vice versa. La démonstration est davantage lisible lorsque l’espace prend ses aises, moins dans les quelques petites salles confinées, telle celle où s’étalent les pièces de verre siglées Glassfab.
La dernière couche, enfin, de ce « mille-feuille design » se déploie au second étage du Tri Postal. Baptisée « Design etc., Open Borders », cette exposition a été conçue sous la houlette de Renny Ramakers et Gijs Bakker, les deux gourous du célèbre collectif batave Droog Design. Ceux-ci présentent, en 85 morceaux choisis et dans une scénographie efficace du tandem madrilène 24h Living, un joyeux condensé de la jeune création européenne. « L’essentiel, explique Renny Ramakers, n’est pas de déceler si tel ou tel travail est l’œuvre d’un artiste, d’un designer ou d’un architecte, mais, bien au contraire, de montrer comment ces projets peuvent, en dehors de toute frontière, répondre à des problèmes de société. Comment ces projets peuvent créer du lien entre les individus, voire inciter ces mêmes individus à prendre part au processus de création. » Pour l’occasion, le duo Bakker/Ramakers semble avoir fait son marché dans diverses manifestations européennes récentes, dont l’Exposition internationale de Hanovre (2000), le Salon du meuble de Milan (2002, 2003, 2004) ou encore la Biennale d’architecture de Rotterdam (2003). Y sourdent moult réflexions en vogue du moment – la culture du corps, les biotechnologies, la surconsommation, le recyclage… – et un thème récurrent : le besoin de rétablir des relations stables entre l’homme et la nature, même artificielles.
Les projets, eux, oscillent entre bricolages bancals et recherches séduisantes. Dans Nature ?, Marta de Menezes Graca modifie les dessins d’une aile de papillon en stimulant les cellules par la chaleur, directement dans le cocon et sans manipulation génétique.
Avec le Social Mobile, le groupe Ideo a, lui, inventé, un téléphone portable qui, si l’utilisateur parle trop fort, génère… une décharge électrique. Enfin, plus poétique, la Capsula Mundi d’Anna Citelli et Raoul Bretzel est un cercueil en matériaux biodégradables et en forme d’œuf, à l’intérieur duquel le corps est placé en position fœtale et que l’on « plante » comme une graine. Le message est clair : le design n’a plus de frontières.

Jusqu’au 28 novembre, Tri Postal, avenue Willy-Brandt, 59000 Lille, tél. 03 28 52 20 04, tlj sauf lundi mardi, mercredi et dimanche 10h-19h, jeudi, vendredi et samedi, 10h-21h. Par ailleurs, de multiples manifestations consacrées au design ont lieu jusqu’à la fin de l’année, dont, à l’Hospice Comtesse, l’exposition « Étrange & Familier », une sélection de projets mi-design mi-architecture qui soulignent certaines métamorphoses du quotidien, ainsi qu’un week-end entier baptisé « Monde parallèle Design » les 22, 23 et 24 octobre prochains. Programme sur le site www.lille2004.com.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°199 du 24 septembre 2004, avec le titre suivant : Design sans frontières

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