Fondation

De la Bourse de Commerce au centre d’art

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 27 janvier 2021 - 1247 mots

PARIS

Dans ce monument historique, l’un des édifices les plus singuliers de la capitale, le collectionneur François Pinault présentera bientôt sa collection dans un projet qui marie, comme à Venise, l’art, l’architecture et le patrimoine.

Qui aurait pu imaginer qu’une construction ultra-contemporaine se-rait venue se nicher au cœur de ce bâtiment-phare du XVIIIe siècle ? Le Japonais Tadao Ando est un familier de ce genre de geste architectural. Ne l’a-t-il pas déjà commis dans un contexte quasi identique, à Venise, qui plus est pour le même client, l’homme d’affaires et collectionneur François Pinault ? Si, en 2009, Ando le fit à la Punta della Dogana (Pointe de la Douane), il réédite l’exercice une décennie plus tard, à Paris, avec l’ex-Bourse de commerce qu’il métamorphose de fond en comble pour en faire un centre d’art, avec la complicité de Lucie Niney et Thibault Marca, de l’agence parisienne NeM, et de l’architecte en chef des Monuments historiques, Pierre-Antoine Gatier.

La fusion des époques

Érigé entre la rue du Louvre et le jardin Nelson-Mandela, dans le 1er arrondissement, cet édifice singulier, un cylindre parfait hérissé d’une immense coupole, a fait l’objet d’une minutieuse restauration. Il consiste, en réalité, en une œuvre pour le moins iconoclaste : « La Bourse de commerce de Paris est remarquable à plusieurs titres, estime Pierre-Antoine Gatier. L’édifice ne constitue pas une simple superposition de strates historiques, mais plutôt une fusion des époques. » Quatre au compteur, qui en font un manifeste de l’architecture parisienne des XVIe, XVIIIe et XIXe siècles. Jugez plutôt. Première « couche », côté jardin : la colonne dite « Médicis ». Inspirée par sa consœur Trajane, à Rome, cette icône du paysage parisien d’une hauteur au garrot de 31 m, avec plateforme d’observation au sommet, est, en fait, un vestige de l’ancien hôtel de Soissons commandé par Catherine de Médicis et construit entre 1574 et 1584 par l’architecte Jean Bullant. Le deuxième apport est celui qui va générer la forme urbaine inédite de la halle au blé. L’édification de ce bâtiment au plan radical – à l’époque des Lumières, la figure du cercle s’affirme comme l’un des modèles primordiaux de l’innovation architecturale – est confiée à Nicolas Le Camus de Mézières. Ouverte en son centre sur une vaste cour circulaire, cette halle annulaire – dont les façades intérieures subsistent aujourd’hui – est érigée entre 1763 et 1767. La colonne Médicis, elle, se voit intégrée dans un des trumeaux de la façade extérieure, introduisant une agréable irrégularité dans le rythme strict des arcatures de l’édifice.

L’architecte François-Joseph Bélanger et l’ingénieur François Brunet sont les auteurs, entre 1806 et 1813, de la troisième strate historique : la conception de la coupole en fonte de fer et fer forgé, l’une des plus grandes prouesses techniques du début du XIXe siècle. C’est Jacques-Ignace Hittorff, futur grand architecte du Paris du second Empire, qui, sous la direction de Bélanger, conduira ledit chantier. La dernière « couche », enfin, en l’occurrence la transformation de la halle au blé en Bourse de commerce, est signée en 1889 par Henri Blondel. Celui-ci construit une nouvelle enveloppe extérieure, crée un entresol et un étage supplémentaire, ajoute un nouveau portique d’entrée sur la rue du Louvre, avec fronton sculpté d’Aristide Croisy, dresse des couvertures en ardoise et zinc jusqu’à mi-hauteur seulement afin d’éclairer de nouveaux bureaux et conçoit, enfin, les aménagements intérieurs. L’un des escaliers à double révolution de Camus de Mézières est démoli, l’autre prolongé et intégré à un nouveau système de distribution. La charpente de métal de Bélanger et Brunet, elle, s’habille d’une verrière.

Ultime détail : Blondel fait maçonner la partie inférieure de la coupole en briques creuses, afin de la faire revêtir de peintures murales symbolisant l’histoire du commerce entre les cinq continents. L’ensemble est inauguré le 24 septembre 1889, au moment où l’on commémore le centenaire de la Révolution française. Cette année-là également, Paris accueille l’Exposition universelle. Outre la tour Eiffel, la Bourse de commerce sera mise en avant pour promouvoir le savoir-faire français en matière de charpenterie métallique.

Aujourd’hui convertie en centre d’art, cette dernière loge, entre autres, une dizaine de galeries d’exposition (au rez-de-chaussée, ainsi qu’aux 1er et 2e étages), un auditorium (au sous-sol) et, au 3e étage, un restaurant avec vue imprenable sur l’église Saint-Eustache et la Canopée des Halles, puis, au-delà, sur le Centre Pompidou. Lorsque le visiteur pénètre au cœur de la Bourse de commerce, il lève d’emblée la tête vers la spectaculaire coupole qui culmine à 40 m de hauteur. Dans sa partie basse, déploie à 360° le « clou du spectacle » : ce remarquable panorama de peintures marouflées à la gloire du commerce mondial, exécuté en 1889. Tourné pour partie in situ, le film Non toccare la donna bianca [« Touche pas à la femme blanche ! »] du cinéaste italien Marco Ferreri (1974) en dévoile quelques détails étonnants. « Belle fresque, n’est-ce pas ? C’est notre chapelle Sixtine à nous ! », s’exclame Philippe Noiret, alias général Terry, en faisant admirer l’œuvre à Marcello Mastroianni, alias général Custer. Difficile de faire mieux comme compliment !
 

La collection Pinault 

À 84 ans, François Pinault figurerait, selon les spécialistes, parmi les dix plus grands collectionneurs d’art contemporain au monde. Sa collection, initiée il y a plus de quatre décennies, n’est pas connue avec certitude, achats et ventes d’œuvres se succédant en un mouvement continu. Les chiffres communiqués tournent aujourd’hui autour de 10 000 pièces de près de 380 artistes, dont Andy Warhol, Damien Hirst, Sigmar Polke, Cindy Sherman, Gilbert & George, Luc Tuymans, Martial Raysse, Henri Cartier-Bresson, Jeff Koons, Marlene Dumas, Richard Serra, David Nash, Irving Penn, Robert Rauschenberg ou Thomas Houseago, pour ne citer qu’eux. Le fonds Pinault explore tous les continents et tous les territoires de la création : peinture, sculpture, vidéo, photographie, œuvre sonore, installation et performance. À la Bourse de commerce, cet ensemble dédié à l’art des années 1960 à nos jours sera visible, par roulements, au travers d’un programme d’événements et d’accrochages temporaires. Ce nouvel espace sera également l’occasion de commandes, cartes blanches et autres projets réalisés in situ.

Toile marouflée 

 

Design minimal 

Les designers Ronan et Erwan Bouroullec sont les auteurs du mobilier. À l’intérieur, ils ont conçu les assises, les tables, les tapis, les rideaux ainsi que les lampes, dont des lustres de 15 m de hauteur pour les escaliers du XIXe siècle. À l’extérieur, ils ont réalisé plusieurs pièces de mobilier urbain : des bancs tubulaires, des mâts et quelques formes étranges baptisées « rochers couchés », le tout fabriqué dans un alliage de cuivre et d’aluminium couleur bronze.

Jeu vidéo 

Après la cathédrale Notre-Dame en pleine Révolution française, dans un Paris virtuellement reconstitué, les créatifs de l’éditeur français Ubisoft ont, en 2014, retranscrit avec fidélité la halle au blé – qui n’était pas encore la Bourse de commerce – pour Unity, huitième opus de la fameuse série historique d’action et d’aventure Assassin’s Creed. La raison de ce choix ? Ledit bâtiment est un espace stimulant à parcourir pour un joueur, autrement dit : intéressant à infiltrer, à escalader, à observer et à comprendre. Depuis, tous les gamers de la planète peuvent y déambuler à l’envi.

Béton lumineux 

Dans ce projet d’ampleur (10 500 m2, dont 6 800 m2 accessibles au public), l’architecte Tadao Ando n’a pas manqué de laisser sa griffe, en l’occurrence ses fameux murs de béton brut, perforés de trous de banches. En témoigne, au rez-de-chaussée, la salle d’exposition principale constituée d’un imposant cylindre (20 m de diamètre sur 9 de hauteur et 50 cm d’épaisseur), décalé de quelque cinq mètres de la façade intérieure.

Bourse de commerce, Collection Pinault, 2, rue de Viarmes, Paris-1er, www.boursedecommerce.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°741 du 1 février 2021, avec le titre suivant : De la Bourse de commerce au centre d’art

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