Depuis le début des années soixante, David Hockney a réalisé plusieurs dizaines de milliers de photographies. De simples témoins de sa vie quotidienne, voire de sa vie intime, ces images sont devenues, pour l’artiste, essentielles dans le développement de son œuvre picturale, des cadrages aux compositions, jusqu’aux sujets eux-mêmes.
David Hockney est un homme d’image. La sienne d’abord, qu’il n’a cessé de façonner en développant très tôt une stratégie d’auto-promotion pour essayer d’attirer, par tous les moyens, l’attention sur lui et sur ses œuvres. Au sens iconique du terme ensuite : ses recherches ne se réduisent pas seulement à la peinture stricto sensu, puisque renonçant rapidement à l’abstraction, il a expérimenté un grand nombre de techniques de reproduction de la réalité. Dans la voie qu’il s’est assignée, la photographie joue un rôle central, qui a bien souvent orienté, sinon précédé, sa production picturale.
Dans une attitude proche de celle d’un Picabia durant la Seconde Guerre mondiale, comme l’a révélé dernièrement le Musée de Grenoble, Hockney s’est inspiré en 1963 de photographies publiées dans Physique Pictorial, un magazine homosexuel de Los Angeles, pour peindre les baigneurs de ses premières showing paintings. Ses propres clichés ont toutefois rapidement remplacé ces emprunts passagers. En 1964, l’artiste achète un appareil Polaroid qui va lui servir à réaliser ses études. En somme, l’appareil photo se substitue au crayon (sans jamais le remplacer). À l’image de ces instantanés, ses tableaux adoptent rapidement un cadre blanc directement peint sur la toile, qui accentue le caractère artificiel de la représentation, comme dans A Bigger Splash (1967). Hockney s’est d’ailleurs directement servi d’une photographie pour représenter les éclaboussures provoquées par un plongeur dans la piscine, ne manquant pas de souligner le caractère quelque peu laborieux de la pratique picturale : “Il n’a fallu qu’un 300e de seconde pour la photographier et j’ai mis soixante-quinze heures à la peindre”. L’image argentique l’oriente vers davantage de naturalisme, qui confine même parfois au photoréalisme. En 1970, il réalise sa série des joiners, des Polaroid pris sous différents angles et disposés côte à côte. Ces œuvres annoncent déjà certaines de ses recherches du milieu des années quatre-vingt, l’artiste se consacrant de 1982 à 1986 presque exclusivement à l’image argentique.
Photographier “l’inphotographiable”
Dans une pratique photographique renouvelée, c’est la peinture – non la sienne, mais celle de Van Gogh, des cubistes – qui va profondément l’influencer. Multipliant les photographies, les points de vue, les angles, il compose des photocollages qui se détournent de la notion classique de perspective. De février à mai 1982, Hockney a créé plus de cent cinquante images composites. Le 26 février 1982, il prend trente vues de sa maison de Montcalm Avenue avec un Polaroid SX-70, avant de plus largement utiliser des appareils 35 mm et compact 110 qui lui permettent d’abandonner le fameux cadre blanc. Il continue cependant à aborder les genres traditionnels de la peinture, mais tente de se débarrasser du point de vue unique du photographe. Il lui est plus difficile, à l’exemple d’un Cézanne modifiant l’axe de la Maison du pendu, de prendre des libertés avec la réalité, même s’il peut toujours changer d’objectif et ouvrir l’angle jusqu’au fish-eye. En 1982, il réalise The Grand Canyon Looking North, Arizona, September 1982, c’est-à-dire qu’il essaie de photographier “l’inphotographiable”, de saisir l’incroyable sensation que procure chez chacun de nous ce gouffre impressionnant, dont tout le monde s’accorde à dire qu’aucune image ne peut le restituer. Il élabore alors d’énormes fresques composées de plusieurs dizaines d’images, pour former un tout fragmenté qui reste le fragment d’un tout. Hockney a d’ailleurs refait en 1997, pour la rétrospective de ses travaux photographiques au Musée Ludwig de Cologne, un photomontage de près de 2,90 x 12,50 m, Grand Canyon South Rim with rail, October 1982, réunissant quatre-vingt-huit épreuves. Même procédé, même sujet : il a conçu cette année, pour son exposition au Centre Georges Pompidou, deux immenses peintures du Grand Canyon de près de 2 x 7,5 m composées de soixante toiles, fruit de ses recherches photographiques. En 1986, il achève sa série de photocollages avec Pearblossom Hwy 11th-18th April 1986, qui cherche à rendre les sensations que procure une descente à grande vitesse le long d’un tronçon de route déserte.
David Hockney s’est également intéressé à d’autres technologies de l’image. Il réalise en 1986 ses premières home made prints, qu’il crée seul avec trois photocopieuses de bureau. Il dessine ensuite sur Macintosh, à l’aide du logiciel Oasis, avant d’acheter dès 1990 un appareil numérique. En 1995, il donne rendez-vous au réel, au dessin et à la photographie dans des séries de compositions photographiques numérisées et tirées sur une imprimante à jet d’encre. Enfin, il adopte le format CinémaScope pour Snail Space with Vari-Lites (1995-1996), s’inspirant jusqu’au bout d’un effet cinématographique puisque les couleurs vives ne sont pas sans rappeler celles du Technicolor. Ainsi l’artiste a-t-il toujours largement utilisé les méthodes mécaniques de production d’images, ses outils d’expérimentation privilégiés. Peinture et photographie embrassant ici les mêmes sujets, cette dernière a joué chez Hockney un rôle clé dans la régénération du paysage en tant que genre noble.
À voir - DAVID HOCKNEY, ESPACE/PAYSAGE, 27 janvier-26 avril, Centre Georges Pompidou, Galerie Sud, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf mardi 10h-22h. - DAVID HOCKNEY, PHOTOGRAPHIC WORK, 10 février-14 mars, Maison européenne de la photographie, 5-7 rue de Fourcy, 75004 Paris, tél. 01 44 78 75, tlj sauf lundi et mardi 11h-20h. - DAVID HOCKNEY, DIALOGUE AVEC PICASSO, 10 février-3 mai, Musée Picasso, Hôtel Salé, 5 rue de Thorigny, 75003 Paris, tél. 01 42 71 25 21, tlj sauf mardi 9h30-17h30. À lire - David Hockney, espace/paysage, édition du Centre Georges Pompidou, 216 p., 220 F. - David Hockney, Dialogue avec Picasso, édition RMN, 128 p., 150 F. À regarder - David Hockney (52 mn), film de Monique Lajournade et Pierre Saint-Jean, diffusion sur Canal le 16 février à 22h30.
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David Hockney, peintre-photographe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°75 du 22 janvier 1999, avec le titre suivant : David Hockney, peintre-photographe