Dans l’Espace”¯315 au Centre Pompidou, à Paris, David Claerbout (né en 1969 en Belgique) a construit avec Christine Van Assche, conservatrice pour les nouveaux médias au MNAM (Musée national d’art moderne, Paris), un dispositif de projection pour cinq pièces (de The Stack, 2002, à Sections of a Happy Moment et Long Goodbye, 2007). Une occasion de quasi-découverte en France pour une démarche confirmée à l’échelle internationale.
Votre travail engage très souvent un rapport singulier à la temporalité, celle, linéaire, du cinéma et celle, subjective, de la photographie...
Le développement de chacune de mes pièces me conduit à croiser des problématiques de temporalité très différentes. Le point de départ de mes travaux est la photographie, même si le résultat ressemble à du film. Depuis quatre ou cinq ans, je fais des pièces qui semblent être des courts métrages, ou des fragments de film, qui en tout cas utilisent un langage cinématographique, mais qui ne sont pas des films. Elles imitent une temporalité propre à l’expérience du cinéma, mais sans la contrainte de la séance, avec un début, une fin, un espace de projection déterminé. Le musée est mon biotope idéal, car le spectateur y est libre de son déplacement. En fait, je qualifierais ce que je fais de « film sur le film », de film au deuxième degré. Il y a aussi un élément de résistance dans mes pièces, qui fait que l’œuvre se dévoile lentement, dans le temps, par la transformation de l’image dans la durée. Avec Bordeaux Piece (2004), qui dure près de quatorze heures, je sais que je provoque une sorte d’irritation. Si je me réfère au cinéma, c’est par fascination pour une fonction qui se trouvait au début de l’invention du film, quand il avait un statut de théâtre, avec le plan fixe dont l’obsession était d’abord le passage du temps en lui-même. En fait, surtout pendant les sept ou huit premières années de mon activité, il s’agissait d’un travail contre le montage.
Comment avez-vous réagi à l’espace de la galerie 315 ?
L’architecture de l’exposition tente d’agrandir l’espace en créant pour le visiteur un parcours ouvert, avec cette division transparente qui laisse deviner l’autre partie de l’exposition. Je souhaitais aussi travailler dans le blanc, pour que le spectateur se trouve face à des formes claires, à contre-pied de la « black box » qui isole. Les expositions de vidéo sont souvent construites par les contraintes du son. Ici, les sons sont plutôt des sons témoins dans les pièces, avec un chant d’oiseau, une ambiance urbaine ou une bande musicale en décalage avec l’image, et ils nourrissent le parcours.
Vous travaillez avec minutie sur l’image elle-même, en partant d’un stock, d’une collection d’images. Quel rôle le numérique joue-t-il ici ?
Je collectionne des images depuis que je suis sorti de l’Académie à Anvers, et je passe encore beaucoup de temps à constituer cette archive et à regarder les images, aujourd’hui toutes numérisées. Ce travail consiste surtout à filtrer toutes les certitudes de ce que dit l’image, pour garder ses incertitudes, et le numérique aide à se défaire du poids qu’a pris la photographie dans la construction de l’Histoire. C’est une problématique très concrète liée à l’image numérique. Souvent, je cherche cette sorte de brouillard présent dans l’image projetée, son « bruit », un mouvement fait par les algorithmes de pixels, en particulier dans les images presque immobiles. C’est une espèce de vie propre à l’image, à la projection. Si les ordinateurs d’aujourd’hui ont tendance à faire disparaître ce phénomène, je cherche, moi, à m’en servir.
Ce ralentissement que propose votre travail dit-il quelque chose de l’état du monde actuel ?
Probablement, mais d’une manière pas très correcte ! J’accuse le trait de la difficulté à voir les choses. Mes pièces souvent exaspèrent cette question du temps, comme si, d’une certaine manière, je disais toujours au spectateur : vous n’avez pas le temps ! C’est une grande différence entre l’image vidéo et la peinture, qui, bien que j’aie abandonné celle-ci il y a longtemps, reste présente à mon esprit.
Le monde ordinaire n’entrerait-il pas dans votre travail ?
Je crois qu’il n’y entre pas du tout ! Mais, en réalité, on ne peut être hors de son contexte. Il ne s’agit pas en effet de faire ou de ne pas faire un art politique. Il y a une politique du regard, et passer du temps à ouvrir une image, même une seule image, c’est un geste important.
Jusqu’au 7 janvier 2008, Espace 315, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tlj sauf mardi 11h-21h, tél. 01 44 78 12 33. Catalogue à paraître.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
David Claerbout
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°267 du 19 octobre 2007, avec le titre suivant : David Claerbout