À Roubaix, les films d’Ali Kazma s’inscrivent dans un violent rapport au réel, abordé par le biais de la transformation et des états transitoires
ROUBAIX - Les images filent et s’enchaînent dans un espace sombre où les sons des différents films projetés en file indienne, et en vis-à-vis, s’entrechoquent. Le visiteur croirait presque être dans un grand atelier. Un atelier du monde où partout un même regard, curieux et acéré, décortique des activités humaines liées au travail : un vieil homme démonte puis remonte minutieusement une pendule (Clock Master, 2006), une céramiste exécute toutes les facettes de son travail artisanal (Studio Ceramist, 2007), des barres d’acier sont transformées en fil de fer (Rolling Mills, 2007), des ouvrières sont soumises à une cadence infernale dans une usine de fabrication de jeans (Jean Factory, 2008)… Dans l’exposition que lui consacre l’Espace croisé, à Roubaix (Nord), Ali Kazma donne à voir neuf films de sa série intitulée Obstructions, qui en compte douze. Certaines images sont difficiles, à l’instar de celles tournées dans un abattoir où les bêtes sont égorgées, sans avoir été abattues, puis savamment dépecées et découpées (Slaughterhouse, 2007). Ou celles d’une opération du cerveau dont rien, de la préparation au déroulement, n’est occulté (Brain Surgeon, 2006). Crues parfois, les images ne sont pourtant jamais choquantes ni provocantes. L’artiste turc sait en effet imposer le recul nécessaire à son œil pour ne pas verser dans le sensationnel. Surtout, maniant à la perfection un montage sec et saccadé, un découpage de l’image et un art du close-up, il impose une présentation fluide et dynamique, sans temps mort ni repos d’aucune sorte, où l’enchevêtrement des images sert une vision précise de son sujet dénuée de toute considération méditative ou prétendument empathique.
Regard lucide
S’il affirme « chercher à situer la place de l’homme contemporain – la signification de son existence et comment il vit – dans le monde actuel », Ali Kazma le fait en évitant l’écueil de la trop facile dénonciation verbale, qui souvent n’effleure que la surface. Au contraire, il s’insinue dans la profondeur du sujet afin de le laisser « parler ». Par son approche, s’il revendique une filiation avec le documentaire, jamais il ne commente. Ce qu’il y a de violent dans ses films, c’est la façon dont il scrute les tensions, parfois infimes, générées par ces activités qui, toutes, passent par des processus de transformation souvent brutaux, alors qu’elles sont toujours empreintes de fragilité. Une forme d’insécurité naît en effet de cette sécurité des gestes parfaitement maîtrisés et enchaînés, qui confine elle aussi à une sorte de violence. Avec son regard lucide et sans concession, Ali Kazma touche au politique sans jamais avoir la prétention d’employer le mot.
Commissaire : Mo Gourmelon, directrice de l’Espace croisé
Nombre d’œuvres : 9
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Dans l’atelier du monde
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Abonnez-vous dès 1 €ALI KAZMA, jusqu’au 23 décembre, Espace croisé, Centre d’art contemporain, 14, place Faidherbe, 59100 Roubaix, tél. 03 20 73 90 71, www.espacecroise.com, tlj sauf lundi 14h-18h. Catalogue à paraître
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°315 du 11 décembre 2009, avec le titre suivant : Dans l’atelier du monde