Avec doigté et pugnacité, Daniel Alcouffe aura enrichi vingt ans durant le département des Objets d’art du Louvre. Portrait d’un homme de l’ancien Louvre.
À voir sa silhouette fluette, et sa courtoisie dont raffolent les vieilles dames, on ne soupçonne pas Daniel Alcouffe d’avoir pu déplacer des montagnes. L’ancien chef du département des Objets d’art du Louvre est pourtant monté au front, pour financer ses acquisitions, et au créneau, contre les errements de ses tutelles. Ce retraité pimpant, signataire de la pétition contre le projet d’Abou Dhabi (lire p. 3), incarne une page révolue du Louvre. Un chapitre où les chefs de département faisaient autorité.
Entre un père professeur de français et une mère au foyer, Daniel Alcouffe jouit d’une enfance heureuse, ponctuée de visites au Trésor de l’abbaye de Saint-Denis ou à la Malmaison (Rueil-Malmaison, Hauts-de-Seine). Porté sur l’histoire, il réussit le concours de l’École des chartes en 1958. L’année suivante, il s’inscrit parallèlement à l’École du Louvre où il opte pour les arts décoratifs. Le mobilier, il l’a dans le sang, avec une mère descendant d’une lignée d’ébénistes parisiens, les Cordier. À l’École du Louvre, Daniel Alcouffe rencontre son mentor, le conservateur Pierre Verlet, qu’il veille à imiter point par point. « C’était un homme érudit, rigoureux, exigeant, souligne-t-il. On vit encore sur sa lancée. » Sous sa direction, Daniel Alcouffe commence un mémoire – resté inachevé – sur l’ébéniste Gaudreau tandis qu’il conclut une thèse à l’École des chartes sur les ébénistes du XVIIe siècle. Devenu archiviste paléographe en 1962, il intègre aussitôt le Louvre, où Verlet lui demande de travailler sur le catalogue des gemmes avant de l’envoyer pendant un an à la Casa de Velázquez à Madrid. Le jeune homme s’accommodera des allers-retours tonitruants de Verlet, puis de la valse des directeurs avant de prendre le gouvernail du département en 1982.
Recherche de financements privés
Tout en marchant sur les pas de son maître, il élargira la vision au XIXe siècle. « C’est le seul conservateur que je connaisse qui puisse resituer un objet aussi bien dans un contexte carolingien qu’au XVIIIe siècle, indique Gérard Mabille, son ancien collaborateur et actuel directeur de la Malmaison. Il était capable d’apprécier aussi bien un émail limousin qu’un vase de Sèvres. » Sa politique active d’enrichissement des collections sera son grand œuvre. Pour arriver à ses fins, ce travailleur acharné remuera ciel et terre, quitte à surpayer parfois les œuvres. Il accepte mal les échecs, tout comme la concurrence d’autres musées plus nantis tel le Getty (Los Angeles). « Il ne capitulait pas, galvanisait ses tutelles ou s’efforçait de trouver des financements privés », rappelle Jean-Pierre Samoyault, ancien directeur du Mobilier national. Il fut surtout l’un des premiers conservateurs à rompre la glace avec les marchands. Bien lui en prit car le négoce ne se montra pas ingrat. Grâce à l’antiquaire Maurice Segoura, il réussit à acheter la table et le fauteuil de toilette en cristal de la duchesse de Berry, évalués à 6 millions de francs et refusés une première fois lors de la commission d’acquisition de 1987. Le marchand allonge un chèque d’un million de francs, et lui présente Claude Ott, lequel offrira les 5 millions restants en 1989. Ses connivences avec les antiquaires ne relevaient pas du donnant-donnant. Ainsi n’a-t-il jamais rien acheté à Bernard Steinitz, l’un de ses premiers et plus généreux donateurs. « Les marchands lui ont toujours donné des choses, car il était gentil avec eux, note l’antiquaire Bill Pallot. Si le délai pour obtenir un passeport de sortie pour un objet était de trois mois, il nous aidait à l’obtenir en trois semaines. » Et d’ajouter : « Beaucoup de gens donnaient d’abord parce que c’était Alcouffe, ensuite parce que c’était pour le Louvre. J’aurais offert le fauteuil de [Nicolas-Quinibert] Foliot et la chaise de [Jean-Baptiste] Boulard à Versailles si Alcouffe y avait été. »
Versailles n’a justement pas toujours apprécié l’activisme de Daniel Alcouffe. Les mauvaises langues affirment que ce dernier aurait ravivé les vieilles rancœurs entre Gérald Van der Kemp, ancien conservateur en chef du château, et Pierre Verlet. D’autres lui reprochent de ne pas avoir arrêté en douane la commode de B.V.R.B. provenant de Versailles et vendue finalement à New York chez Christie’s. « Je n’ai jamais cherché la bataille avec Versailles, défend l’intéressé. Ils m’en veulent parce que la commode en porcelaine de Mme du Barry venant de la dation d’Edmond de Rothschild se trouve au Louvre. Mais M. de Rothschild voulait faire cette donation à notre musée, car nous avions proposé de constituer un cabinet pour les meubles en porcelaine. Nous avons d’ailleurs obtenu dans la foulée deux sièges pour Versailles. J’ai toujours eu beaucoup trop de travail pour chercher querelle à qui ce soit. »
Restaurations minimales
Certains observateurs regrettent que Daniel Alcouffe n’ait pas été vigilant quant au « pedigree » de ses donateurs. Son amitié avec le sulfureux Roberto Polo, qui avait facilité l’acquisition de la couronne de l’impératrice Eugénie, et la donation du mystérieux milliardaire russe Arcadi Gaydamak, ont fait grincer les dents. « J’ai toujours soutenu Roberto Polo, y compris contre ma direction qui était bien contente de ses dons, affirme l’intéressé sans se démonter. Ils croyaient se présenter en modèles de vertu alors que c’étaient des parangons d’ingratitude. » Pour la conservatrice du Louvre Élisabeth Foucart-Walter, « tout ce qu’Alcouffe a fait, c’était pour le département. Il n’y a aucun soupçon de dérive, aucune ambiguïté ».
S’il ne faisait pas forcément le tri dans ses donateurs, Daniel Alcouffe se révélait sélectif face aux objets. Lorsque le collectionneur Pierre Jourdan-Barry lui propose de choisir dans sa collection d’argenterie, le conservateur piochera la pièce la moins convenue. « J’avais présenté notamment deux objets à caractère historique : une montre de carrosse aux armes du cardinal de Richelieu et un grand cadran solaire aux armes de Colbert, et j’étais persuadé que le choix de Daniel Alcouffe se porterait sur l’un de ces deux objets, vu leur attribution à de grands noms de l’histoire de France, relate le collectionneur. Il n’hésita pas plus de quelques minutes pour sélectionner un très rare petit chandelier de Roberday-Paris. L’objet était d’une grâce très inhabituelle et d’une composition qui aurait pu le situer dans la période Art déco. »
Pour Daniel Alcouffe, enrichir le fonds ne signifie pas nécessairement grossir les réserves. « D’après lui, on ne devait mettre en réserve que les œuvres en attente de restauration, les séries, les études ou les œuvres douteuses. Il voulait que les visiteurs en profitent au maximum », rappelle Élisabeth Taburet-Delahaye, directrice du Musée de Cluny (Paris). D’où l’engorgement de certaines salles… À la surcharge des présentations, s’oppose sa politique de restauration. « Sa philosophie, ce sont les restaurations minimales, conserver au maximum l’intégrité de l’objet », mentionne Marc-André Paulin, restaurateur au C2RMF (Centre de restauration et de recherche des musées de France).
Contre Abou Dhabi
Militant pour la collection, Daniel Alcouffe l’aura aussi été pour les hommes via une action syndicale efficace. Il soutiendra aussi bien un Jean-Pierre Samoyault, démis de la direction du Mobilier national par un caprice de Bernadette Chirac, qu’Henri Marchal, destitué de manière arbitraire de son poste de directeur de l’ancien Musée des arts d’Afrique et d’Océanie. Il tiendra aussi tête à l’autocratie du nouveau directeur du Louvre, Henri Loyrette. Entre les deux hommes, les crispations pointent vite, surtout en matière d’acquisition. « Je reconnais que j’ai été dirigiste dans les achats pour le bien du département, confie Daniel Alcouffe. Henri Loyrette veut être comme les directeurs des grands musées américains. Il n’a pas compris que la personnalité du Louvre tenait à ses départements. Les chefs de département doivent se référer à lui pour toutes les acquisitions, ce qui brise les initiatives. Chaque département était autrefois un petit musée, avec son rayonnement propre, son style, son champ d’action. Mais je pense qu’un jour les conservateurs reprendront le pouvoir. »
La retraite a eu raison de son propre pouvoir. Sans amertume, il reste actif en dirigeant des associations savantes, comme la Société d’histoire de l’art, en participant au comité de rédaction de la revue Le Korè (Revue ivoirienne de philosophie et de culture) ou en animant des conférences, notamment au Louvre des Antiquaires à Paris. Il projette même la publication de sa thèse remaniée sur les ébénistes du XVIIe siècle en collaboration avec les éditions Faton. En signant la pétition de la Tribune de l’Art contre le Louvre Abou Dhabi, il s’inscrit aussi dans les débats. « Je n’aime pas l’idée de prêter des œuvres contre de l’argent. Nous ne sommes pas des commerçants », s’indigne-t-il. Il aurait d’ailleurs signé la pétition quand bien même aurait-il encore été au Louvre. Quid des représailles ? « Qu’est-ce qu’on peut craindre ? Quand on est chef de département au Louvre, on ne va pas vous traîner devant un conseil de guerre ! »
1939 Naissance à Paris. 1962 Intègre Musée du Louvre comme conservateur au département des Objets d’art. 1982 Nommé chef du département des Objets d’art du Musée du Louvre. 1989 Achète la toilette en cristal de la duchesse de Berry. 2004 Départ à la retraite. 2007 Publication de sa thèse sur les ébénistes du XVIIe siècle.
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Daniel Alcouffe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°255 du 16 mars 2007, avec le titre suivant : Daniel Alcouffe