Tout juste désigné pour représenter la France à la prochaine Biennale de Venise en 2011, Christian Boltanski offre, au Grand Palais, une magistrale réflexion sur la disparition et la mort. À « Personnes », présentée à Paris dans le cadre de « Monumenta », répond « Après » au Mac/Val, à Vitry-sur-Seine.
PARIS et VITRY-SUR-SEINE - On sait Christian Boltanski depuis toujours obsédé par la disparition et la mort, la mémoire, l’entretien du souvenir collectif ou la difficulté de l’individu à trouver un juste positionnement face à des problématiques universelles. Autant d’idées qui ont nourri une œuvre fortement métaphorique, qui pour être riche n’en est pas moins parfois redondante, et à propos de laquelle l’artiste lui-même ne craint pas d’affirmer qu’il se « répète constamment ».
Dans le cadre de « Monumenta 2010 » au Grand Palais, à Paris, et d’un projet lisible tel son pendant au Mac/Val, à Vitry-sur-Seine, force est de constater que, si ces interrogations sont toujours de mise, il en offre une double lecture ambitieuse et émouvante, dominée par la problématique du hasard, en évoquant la disparition et en se risquant à imaginer un après.
Dans la nef du Grand Palais, l’ambiance est d’entrée glaciale et mortifère où, après avoir contourné un mur de boîtes de métal rouillées sur chacune desquelles est apposé un numéro, le visiteur est confronté à un quadrillage de l’espace. Des milliers de vêtements « sagement » alignés au sol emplissent une soixantaine de rectangles d’égales dimensions, tous délimités par quatre poteaux en acier rouillé d’où s’échappent des câbles supportant un néon accroché très bas. Plus que les effroyables réminiscences qui sautent immédiatement aux yeux, c’est le caractère systématique et tracé au cordeau du dispositif qui incommode. Sous la coupole centrale, un gigantesque tas de vêtements de quelque dix mètres de hauteur vient troubler l’ordre établi. Pas seulement parce qu’il diffère dans le dispositif, mais plutôt à cause de l’incessante activité qu’il occasionne. Le grappin d’une grue vient attraper des fripes au hasard, avant de les relâcher et de les laisser retomber.
Le tout pourrait n’être qu’une sauvage et oppressante métaphore, mais Boltanski évite le dérapage trop expressionniste en ajoutant à l’ensemble une multitude de sons de battements de cœurs – autant que de rectangles au sol, plus un – appartenant à des personnes toutes différentes. Mêlés les uns aux autres et diffusés à très fort volume, ils tirent de nouveau vers la vie ce qui autrement ne serait que mort. Enregistrés dans le cadre de son projet « Archives du cœur », qui vise à collecter des témoignages d’une mémoire de l’humanité et donnera lieu à une installation sur l’île de Teshima, dans la mer intérieure de Seto au Japon, l’artiste réinsuffle un flux dans une installation qui, par là même, développe une forme d’ambivalence. « Face à la masse informe des victimes, la responsabilité de l’artiste sera de ramener l’indistinction du nombre à la diversité des individus », écrit Catherine Grenier, commissaire de « Monumenta », dans l’ouvrage rétrospectif publié par les éditions Flammarion. En effet, l’artiste parvient ici à installer de l’individuel et du singulier à travers la masse et le collectif… Et le titre « Personnes », au-delà de son ambiguïté, se charge de tout son sens lorsque l’absence et l’indistinction dévoilent paradoxalement des portraits.
Questions en boucle
Au Mac/Val, c’est une installation fantomatique qui attend le spectateur. Dans un espace plongé dans le noir, des structures parallélépipédiques de diverses hauteurs, couvertes de bâches noires, évoquent une ville crépusculaire où l’errance ne bute que sur quelques-uns de ces Hommes en marche, dont les néons accrochés aux planches qui les constituent sont les seules sources de lumière. La rencontre avec chacun d’eux déclenche des questions répétées en boucle : « Dis-moi, as-tu eu peur ? Dis-moi, as-tu laissé beaucoup d’amis ? Dis-moi était-ce un accident ? Dis-moi, étais-tu conscient ?… » C’est bien un « Après » qu’ose ici imaginer l’artiste, d’autant que les mouvements de foules projetés sur les rideaux de l’accès à la salle s’interrompent et se figent au passage de chaque visiteur.
Dans l’une comme dans l’autre installation, plus que du théâtre auquel Boltanski est profondément attaché, et qui parfois infuse dans son travail, c’est une forme de ressort cinématographique qui transparaît dans la gestion d’une temporalité étirée par des narrations découpées par les espaces. Il n’en ajoute que plus de trouble. De ce double projet émerge une question centrale, fondamentale et d’autant plus perturbante que tout un chacun est sans détours mis en position de réfléchir aux tabous et non-dits qui n’existent que pour le conjurer : le sort… avec son corollaire le hasard. Au Grand Palais, au-delà de l’évocation de camps ou de baraquements, c’est le hasard présidant au choix de la grue parmi les vêtements du tas dans lequel elle vient piocher qui renforce le malaise, car elle donne une image à ce que le langage populaire qualifie communément de loterie. Et si, visuellement, cette composition peut évoquer des scènes du Jugement dernier, elle apparaît plus sombre encore. Il n’y a plus ici ni élus ni damnés ; après avoir été élevés vers les hauteurs, tous sont rejetés vers un inconnu, lamentablement. Coquin de sort !
MONUMENTA 2010. CHRISTIAN BOLTANSKI. PERSONNES, jusqu’au 21 février, nef du Grand Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris, www.monumenta.com, tlj sauf mardi 10h-22h, lundi et mercredi 10h-19h. Livre, coéd. Flammarion/CNAP, 208 p., 39 euros, ISBN 978-2-0812-0878-0
CHRISTIAN BOLTANSKI. APRÈS, jusqu’au 28 mars, Mac/Val, place de la Libération, 94400 Vitry-sur-Seine, tél. 01 43 91 64 20, www.macval.fr, tlj sauf lundi 12h-19h
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Christian Boltanski en 'Personnes'
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Commissaire : Catherine Grenier, conservatrice au Centre Pompidou
APRÈS
Commissaire : Alexia Fabre, conservatrice en chef du Mac/Val
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Christian Boltanski en 'Personnes'