Charlotte for ever

Son œuvre, elle, a survécu : des centaines de gouaches représentant la brève histoire de sa vie. Un premier film, Charlotte S. de Frans Weisz est sorti en 1981. Mais c’est surtout au cours des années 2010 qu’on observe un regain d’intérêt autour d’elle. Soudain, Charlotte Salomon devient l’héroïne de deux opéras, en 2014 et 2017, et d’un ballet en 2015. Publié en 2014, le roman Charlotte de David Foenkinos deviendra un spectacle en 2019. Vie ? Ou Théâtre ?, le livre de Charlotte Salomon est édité en France en 2015, aux éditions du Tripode.Le film d’animation de Tahir Rana et Éric Warin poursuit ce long travail mémoriel autour de l’artiste. Le récit s’ouvre en flash-back pour reconstruire l’histoire de Charlotte, de son enfance dans l’Allemagne des années 1920 à son exil en France pendant la guerre, où elle sera raflée par la Gestapo. Destiné à un public familial, Charlotte n’esquive pas la part sombre de son héroïne mais reste parfois problématique dans son rapport à la réalité. Ainsi, l’artiste s’est accusée dans un courrier de l’assassinat de son grand-père. Warin et Rana n’hésitent pas à reconstituer la scène. Cependant, dans ce même courrier, Charlotte Salomon laissait entendre que le vieil homme voulait avoir des relations sexuelles avec elle, ce que le scénario préfère effacer. L’empoisonnement prend donc à l’écran une signification nouvelle.Hélas alourdi par sa musique, Charlotte trouve sa force dans les séquences de peinture. L’écran épouse la souplesse de la gouache, le bleu vibrionnant de Salomon et les cinéastes parviennent parfaitement à fondre dans leur film les vraies œuvres de l’artiste. Surtout, la réalisation traduit cette façon intuitive de peindre, cette improvisation de calligraphe qui crée le temps d’un souffle. Car Charlotte était pressée. « Il n’y a plus beaucoup de temps », lance-t-elle dès le début du film. D’où cette question obsédante : savait-elle qu’elle ne vivrait pas trente ans ? Une pulsion de mort qui contraste avec la beauté des paysages du sud de la France. Warin et Rana reproduisent l’enchantement de la Méditerranée, le ciel monochrome, le vent léger dans les palmiers de la promenade des Anglais. Peu de films sur l’Occupation osent illustrer ainsi l’histoire. Le jour où Charlotte Salomon est partie pour les camps, il faisait beau temps sur la Riviera.