Si intimes soient-ils, les petits coins restent encore de grands espaces à explorer. Pourtant, dans leur grande majorité, les fabricants de sanitaires se révèlent plutôt conservateurs. Excepté au pays du Soleil-Levant où ils rivalisent d’ingéniosité. Les toilettes nippones sont, en effet, truffées de gadgets : lunette chauffante, accoudoirs réglables, jets d’eau rinçants, télécommande pour ajuster la température, activer une musique d’ambiance ou, dernier raffinement, opérer un massage fessier. On trouve même aujourd’hui des WC « intelligents », capables de mesurer votre taux de graisse ou celui de sucre contenu dans l’urine. Bref, au Japon, le trône est assurément… impérial.
C’est d’ailleurs grâce à une commande du géant des sanitaires nippons, Toto, qu’Ayse Birsel, designer turque installée à New York, s’est fait connaître internationalement. Ce fabricant japonais a acquis, dès les années 1980, une renommée mondiale en lançant les Washlet – contraction des mots anglais wash, laver, et toilet –, WC nettoyants high-tech au slogan choc : « Vos fesses aussi veulent rester propres ! » En 1995 donc, Ayse Birsel conçoit, pour Toto, Prominence Toilet, un hybride novateur, croisement entre un siège de toilettes et un bidet. La designer a imaginé cette cuvette très confortable « comme un vrai siège, sauf qu’il y a un trou au milieu ». Le Prominence Toilet est principalement destiné au marché américain.
Le designer Ron Arad, lui, a eu moins de chance. En 1996, il a réalisé dans les ateliers du Centre de recherche sur les arts du feu et de la terre, à Limoges, une cuvette de WC très rigolote, en forme de gros œuf blanc. Son originalité : au lieu du traditionnel piètement lourd, la cuvette reposait sur deux petites pattes. Mais le prototype, pourtant réalisé en étroite collaboration avec la société française Allia, est toujours dans les cartons.
Depuis Duchamp et son urinoir de faïence blanche (Fontaine, 1917), ce sont, en fait, les artistes qui mènent la danse. À preuve : cette œuvre de Monica Bonvicini, récemment installée, à Londres, devant le Chelsea College of Art and Design, qui vient d’emménager dans des locaux situés juste en face de la Tate Britain Gallery.
L’artiste italienne, Lion d’or 1999 à la Biennale de Venise, travaille, entre autres, sur l’architecture utilitaire et les rapports de pouvoir qu’elle entretient avec la politique, la société et l’histoire. Elle réalise ici, à partir d’un ensemble lavabo-cuvette de WC, en acier, acheté chez un fournisseur des geôles du royaume, de véritables toilettes publiques. Originalité : sa vespasienne est construite avec des miroirs sans tain, garantissant, à l’intérieur, une parfaite intimité. Ceux qui, à l’extérieur, scrutent minutieusement l’objet n’y trouvent que leur reflet. En revanche, rien du spectacle qui se déroule sur Atterbury Street n’échappe à l’occupant(e) des lieux.
Dans le quotidien britannique The Guardian daté du 4 décembre 2003, l’artiste explique qu’elle a imaginé cette œuvre il y a une dizaine d’années en observant les invités lors d’un vernissage. C’était, lui sembla-t-il, moins l’art qui les intéressait que les ragots, les boissons gratuites, l’envie de tisser des relations ou d’étaler ses bijoux. « J’ai alors eu l’idée de créer une pièce où les gens pouvaient satisfaire leurs besoins sans manquer une seconde de l’événement. » D’où le titre de l’œuvre : Don’t Miss a Sec, en l’occurrence : « N’en perdez pas une miette ! »
« Don’t Miss a Sec » sont ouvertes au public jusqu’au 6 mars, du lundi au vendredi, 18h-20h, le samedi, 14h-18h, et le dimanche, 10h-18h.
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Cabinets... de curiosité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : Cabinets... de curiosité