BORDEAUX
Pour son exposition inaugurale à la Méca, le Frac Nouvelle-Aquitaine met en scène une histoire en train de s’écrire : « Il est une fois dans l’Ouest ».
Bordeaux. C’est à une très grande toile emblématique de Martial Raysse, Le Carnaval de Périgueux (1992), qu’il revient d’ouvrir l’exposition inaugurale du Frac (Fonds régional d’art contemporain) Nouvelle-Aquitaine dans ses nouveaux espaces. Cette exposition, sa directrice Claire Jacquet l’a voulue, explique-t-elle, « généreuse, foisonnante », et construite autour d’une « quinzaine de projets ». Le tableau du peintre français, un prêt de la Pinault Collection, constitue le premier. On comprend que la plupart de ces projets, de nature très différente, ont pour point commun leur singularité. Dans « La suite basque », dont le commissariat a été confié à Julie Laymond, de la COOP, association pour la promotion de l’art contemporain au Pays basque, les séries photographiques de Charles Fréger et les bâtons en céramique de Julie Labastie en appellent à la mémoire de ce territoire, qui s’étend de la frontière franco-espagnole aux confins de la Navarre.
Avec « Trans », la commissaire Anne Dressen, qui a participé au comité technique d’achat du Frac de 2012 à 2018, a choisi pour sa part de réunir des acquisitions récentes autour de la notion de « dépassement » : des genres, des disciplines, des normes, etc. Plus loin, la Falaise de Bâmiyân, de Pascal Convert, vue photographique et panoramique de la paroi rocheuse qui abrita les fameux Bouddhas avant leur destruction en 2011, occupe une cimaise en diagonale qui fait face à « Un être, un acte, un lieu, un objet », tentative d’histoire de la photographie en 32 images sélectionnées par deux commissaires, Aurélien Mole et Éric Tabuchi, dans les collections des trois Frac [avec ceux de Poitou-Charentes et Limousin] de Nouvelle-Aquitaine. Il faut renoncer à suivre un fil directeur dans cette juxtaposition d’intentions qui compose un portrait chinois du Frac et de ses missions, et picorer ici et là ce qui intrigue ou retient l’attention, comme cette tenture murale de Caroline Achaintre, caractéristique de sa technique de tuftage.
Mais il faut également prendre le temps, à la sortie, de contourner le bâtiment pour découvrir l’œuvre réalisée par Benoît Maire dans le cadre de la commande publique du 1 % artistique. Il s’agit d’une figure gréco-romaine de 3,20 mètres de haut, coupée en deux dans le sens de la hauteur, et qui semble reposer en équilibre sur une marche de l’escalier monumental, face à la Garonne. Fixée en fait par une tige qui la rive aux fondations, cette sculpture est positionnée dans le prolongement exact d’un des piliers de l’arche, dans un alignement qui souligne la précision de son hémiplégie, comme si, placée à l’aplomb du bâtiment, sa moitié absente était restée dans le vide. « C’est une demi-tête d’Hermès, le dieu qui a donné son nom à l’herméneutique, la science de l’interprétation des signes », commente Benoît Maire, ajoutant qu’il s’agit d’une allégorie :« En rentrant dans la Méca, chaque visiteur doit compléter par son regard les objets présents pour leur donner un sens. » En bronze polimiroir, l’œuvre, extraordinairement photogénique, offre, parmi les diverses prises de vue, la possibilité de se regarder en pied dans son plan de coupe. Son titre : Un détail.
La Méca, un lieu original pour le frac Nouvelle-Aquitaine
Équipement culturel. Avec la Maison de l’économie créative et de la culture en Nouvelle-Aquitaine (Méca), la région s’est offert un « totem culturel » pour 60 millions d’euros (56 millions pris sur son propre budget, plus 4 millions venant de l’État). Au bord de la Garonne, le bâtiment livré par le cabinet d’architecture danois très en vue Bjarke Ingels Group (BIG), en partenariat avec l’agence parisienne Freaks, dresse une silhouette massive et biseautée assise sur deux piliers asymétriques que relie une arche. C’est dans cette dernière qu’est logé, sur trois étages, le Fonds régional d’art contemporain. Le Frac partage l’édifice avec l’agence culturelle du spectacle vivant (Oara) et l’Agence Livre, Cinéma & Audiovisuel (Alca), mais il sera la seule institution réellement ouverte au public. Le prix d’entrée a été fixé à 1 euro, une participation symbolique quand d’autres Frac choisissent de sanctuariser leur gratuité. Cet emménagement permet à l’établissement de disposer de réserves pour sa collection, constituée d’environ 1 200 œuvres, et de multiplier par trois sa surface d’exposition.
Anne-Cécile Sanchez
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Bordeaux fête son nouveau Frac