L’exploitation de nos données personnelles est un faramineux gisement de profits pour les géants de l’informatique, à qui elle offre une opportunité inédite de connaître et d’analyser nos goûts, comportements, émotions, expériences.
C’est aussi un enjeu politique pour des milliards d’internautes dont les mails, profils Facebook, achats en ligne et requêtes sont systématiquement scrutés à des fins de surveillance (par les États) ou de ciblage publicitaire (par les entreprises). Les identités numériques que nous peaufinons à chacune de nos connexions sont devenues autant de biens monétisables, en vertu de cette logique propre au capitalisme 2.0 selon laquelle « Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ».
Une telle exploitation de notre comportement en ligne pourrait faire pencher en faveur d’une complète déconnexion. L’artiste américaine Jennifer Lyn Morone, dont le public européen a pu découvrir le travail à la Transmediale de Berlin en février dernier, penche quant à elle pour une réponse autrement plus offensive. Face au constat que « nous sommes tous des data slaves, des esclaves des données », elle a décidé de reprendre le contrôle de son identité numérique en en faisant… une source de profits. En 2013, pour inaugurer une performance au long cours où sont floutées les frontières habituelles entre l’art et la vie, la jeune femme décide ainsi de créer pour de vrai une entreprise, Jennifer Lyn MoroneTM Inc., dont elle est à la fois la fondatrice, la gérante, l’investisseuse et le produit.
Son business model semble une version extrême du personal branding qui se donne à voir sur les réseaux sociaux : il consiste à collecter, évaluer et stocker les données qu’elle génère non seulement par son comportement en ligne, mais plus largement par ses expériences et actions, pour les transformer en services physiques, intellectuels et biologiques. En somme, sa société propose d’appliquer à ses données personnelles les mêmes méthodes de collecte, de surveillance et d’analyse que les entreprises et les États, avec ceci de particulier qu’elle en revendique la propriété et en monétise les usages potentiels. Ce faisant, elle pousse un cran plus loin la logique à l’œuvre dans l’économie servicielle, en la déployant dans le champ de l’identité. Cette forme extrême du capitalisme 2.0 pourrait, de l’aveu de l’artiste, marquer le point de départ d’une contre-offensive. Elle se veut en tout cas un signal d’alarme et une tactique destinée à contrer sur son propre terrain le business des données.
Depuis sa création, Jennifer Lyn MoroneTM Inc. a déjà débouché sur la création de DOME, abréviation de Datebase of me (littéralement : « base de données de moi »). Soit une application qui offre aux internautes de collecter et d’exploiter leurs données numériques – SMS, comportement en ligne, documents, etc. – pour en conserver l’entière propriété.
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Big Data business
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°679 du 1 mai 2015, avec le titre suivant : Big Data business