À la galerie Frank Elbaz, à Paris, Bernard Piffaretti (né en 1955) poursuit ses explorations du motif pictural dupliqué et développé par une quasi-saturation de la couleur, toujours des plus énergiques.
Vous travaillez selon un protocole qui voit vos tableaux divisés par un marquage central et la moitié droite, reprendre le motif de la moitié gauche. N’avez-vous pas la sensation avec le temps de vous être enfermé dans un modèle de travail ?
Je ne crois pas puisque j’ai toujours cette envie de faire des tableaux, pas seulement pour faire des tableaux. Je me rends compte de plus en plus des éléments qui, dans ces moments de peinture, se retrouvent de manière récurrente d’un tableau à l’autre, et donc des séries formelles qui pourraient se créer. Mais ces séries sont parfois espacées de dix à quinze ans, ce qui est aussi une manière de montrer que cette histoire de la peinture n’est faite que de reprises. Le tableau se constitue en plusieurs temps. Le premier temps de peinture peut se régler en trois traits et trouver un écho dans des tableaux précédents ou des figures de l’histoire de la peinture. Parfois il y aura un autre temps de peinture, un deuxième, un troisième, jusqu’à ce que le premier temps de peinture constitue selon moi une réalité. D’autres fois, des multiples temps de peinture se superposent jusqu’à obtenir une charge picturale suffisante. Il est donc impossible de repasser par tous ces gestes, ce qui veut bien dire que la deuxième partie du tableau n’est pas pour moi une copie, puisqu’une copie se fait par rapport à une image finale. Or il s’agit là de remontrer, de repasser par tous les actes d’une création qui ont conduit à ce que l’on voit.
Ce travail en double évoque la question du miroir et de la fidélité du reflet. Cette fidélité serait-elle pour vous une question secondaire (d’autant plus qu’elle se rapproche ici de la question de la mémoire dans la manière de « retranscrire » ce reflet) ?
Le reflet est secondaire, sans jeu de mots. Secondaire car ce n’est pas un reflet mais un déplacement ; il s’agit d’une symétrie par déplacement donc ce n’est pas un reflet. Il est bien évident que, dans l’histoire de la peinture, l’autoportrait est une espèce de montage puisque le peintre se regarde dans un miroir et reproduit son image. Pour moi, parler de ces figures récurrentes et de l’autoportrait par allusion au miroir revient à dire qu’on ne peint finalement qu’avec un modèle. Dans cette exposition, une œuvre est faite avec des tondi. Elle constitue une sorte de clin d’œil, d’autodérision par rapport à mon travail, puisque j’ai mis deux tondi côte à côte, comme une paire d’yeux ; c’est un peu une forme d’autoportrait. Cette question de l’autodérision est récurrente car c’est peut-être une manière de dire les choses avec plus de force, en les mettant à distance.
Vous avez déclaré un jour : « La peinture ne représente jamais qu’elle-même. » Est-ce à dire que vous déniez à la peinture un potentiel de représentation ?
Évidemment il y a forcément un potentiel de représentation et l’on n’échappe jamais à cela. Un monochrome, c’est la couleur seule, mais elle arrive avec toute une histoire de la peinture, et, si l’on prend deux personnes, un rouge ou un bleu seront rattachés pour chacune d’elles à un phénomène ou à un objet quelconques différents, liés à un moment précis par exemple. Cette couleur seule permet donc de parvenir à créer des images. D’autant plus qu’une certaine expression du geste va nécessairement créer une image, une forme. C’est indissociable de toute la production visuelle, le potentiel d’images est là. Néanmoins, un carré chez Malevitch ou des artistes de cette génération-là, n’a pas la même signification qu’un carré chez les Incas ou les Indiens Hopi. Mais ces formes vont raconter des histoires. Je pense que la peinture est un médium qui, de manière plus évidente que tout autre, redonne la première place au spectateur. La photographie est un acte arrêté de l’image alors que contempler un tableau de la Renaissance, par exemple, permet de remonter le temps en s’attardant sur les couleurs ou la technique. C’est pour moi une question fondamentale qui est contenue dans la question du montage de la peinture.
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Bernard Piffaretti : « La question de l’autodérision est récurrente »
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Galerie Frank Elbaz, 66, rue de Turenne, 75003 Paris, tél. 01 48 87 50 04
www.galeriefrankelbaz.com
tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.
Légende photo
Bernard Piffaretti, Sans titre, 2014, acrylique sur toile, 60 cm de diamètre chaque. Courtesy galerie Frank Elbaz, Paris.
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Bernard Piffaretti : « La question de l’autodérision est récurrente »