À Strasbourg, le musée d’Art moderne et contemporain réexamine le territoire de la perception arpenté par les acteurs de l’art cinétique et optique de 1950 à 1975. Le parcours enthousiasmant rend compte d’une pluralité d’enjeux, et s’octroie en guise d’épilogue un chapitre contemporain concocté par Michel Gauthier. L’occasion d’observer l’héritage de ces utopies optiques et de réactiver le corpus historique à l’aune de l’art en train de se faire.
Amorcé au sortir de la guerre, l’art cinétique et optique puise largement dans le langage abstrait et géométrique énoncé par les avant-gardes qui avaient elles aussi cherché à dynamiser la surface du tableau autant qu’à intégrer le mouvement réel dans leur pratique. Les années 1950 et 1960 voient surgir des artistes préoccupés par le mouvement et l’effet optique, adossés à un attirail scientifique et technologique. Sciences cognitive, cybernétique, théories de l’information, vision matérialiste d’un corps désormais perçu comme un système électrique réceptif à un environnement converti en somme de signaux, tout est bon pour stimuler la rétine et infiltrer massivement l’art dans la vie. Géométries mouvantes de Vasarely (ill. 1), superpositions de fines trames de Carlos Cruz-Diez, machines autorégulées de Nicolas Schöffer, vibrations aimantées de Takis, les dispositifs empruntent des chemins distincts. Les chorégraphies mécaniques et optiques visent dans leur ensemble à accroître l’efficacité perceptive, à déstabiliser le geste subjectif de l’artiste, tout en valorisant la participation active du spectateur et l’immédiateté de la relation à l’œuvre.
Une telle constellation, constituée de pratiques et de projets divergents explique en partie l’embarras chronique des historiens et des commentateurs à l’égard de l’ensemble du mouvement. Par ailleurs l’usure de l’art optique s’explique par la surexploitation de ses motifs vibratoires repris par la mode, le design ou la publicité dès les années 1960. Et son estampille officielle aura sans doute eu raison de sa postérité. Reste que les expériences cinétiques sont assez loin dans le temps maintenant pour qu’une nouvelle génération puisse y revenir. En témoigne le vif regain de l’expérience perceptive, du langage scientifique, des architectures lumineuses ou des phénomènes de persistance rétinienne privilégiés par des artistes tels qu’Olafur Eliasson, Carsten Höller ou Ann Veronica Janssens.
Postface contemporaine
La brève section contemporaine proposée par Michel Gauthier à Strasbourg contourne toutefois le principe d’une filiation directe avec l’art cinétique. « C’est un choix subjectif, qui n’entre pas dans le caractère scientifique de l’exposition », prévient l’artiste Mathieu Mercier, présent dans l’exposition avec une table en aluminium portant deux cylindres de diamètres différents entraînés par une courroie, et emmenés dans un mouvement circulaire ne renvoyant à rien d’autre qu’à son autosuffisance (ill. 9). Une telle mécanique pourrait bien évoquer la distance et l’inflexion déceptive suggérées par le commissaire, aux côtés de Jeppe Hein et de son panneau publicitaire mobile dévoilant une surface vierge retournant à son propre appareillage, ou de Xavier Veilhan et son parterre de disques blancs de diamètres variables, dont deux effectuent un imperceptible et silencieux mouvement circulaire. Face à ces circuits fermés, ces « machines célibataires » sans illusion, le parcours égrène quelques épreuves sensorielles, à l’image du Donut d’Ann Veronica Janssens, projection de battements lumineux colorés successifs générant de violents effets de persistance rétinienne. « D’une certaine manière, commente Michel Gauthier, les œuvres retenues sont des Vanités. Elles disent chacune à leur manière, la vanité des utopies perceptives, sensorielles. Il m’a semblé que l’un des aspects les plus significatifs de l’héritage présent de l’art optique et cinétique tenait en un double phénomène d’excès ou de défaut. Soit cela vibre tellement que l’on ne peut plus rien regarder. Soit cela ne vibre plus du tout ou tellement peu qu’aucun effet perceptif notable ne s’ensuit. »
Les tontons flingueurs
L’épilogue contemporain évacue finalement l’assaut utopique ambitionné par les aînés. Il aurait pu tout aussi bien se trouver en amorce du parcours historique, autorisant alors un regard plus lucide, « une capacité accrue à déceler dans les œuvres présentées celles qui semblent déjà avoir pris quelque distance avec le sérieux de la motion optique et cinétique. J’y ai découvert des œuvres un peu caricaturales, reconnaît encore Michel Gauthier, un côté “studio de Claude Rich” dans les Tontons flingueurs, mais aussi des œuvres remettant en cause le statut sacral que l’époque moderne avait fini par édifier. Au fond, nous ne croyons plus à leur idéologie, mais restons susceptibles d’un enthousiasme à l’égard des formes qu’ils ont inventées. »
« L’Œil moteur : art optique et cinétique, 1950-1975 » se tient du 13 mai au 25 septembre, du mardi au samedi de 10 h à 19 h, jeudi de 12 h à 22 h, dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 5 et 2,5 euros. STRASBOURG (67), musée d’Art moderne et contemporain, 1 place Jean Arp, tél. 03 88 23 31 31. De nombreuses manifestations, ateliers, visites, films sont programmés durant l’exposition : www.musees-strasbourg.org
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Art optique et cinétique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°571 du 1 juillet 2005, avec le titre suivant : Art optique et cinétique