Anri Sala - A Venise, l’image (et le son) de la France

Lui n’a pas poursuivi dans cette voie, il est devenu le maire de la ville et a fait le pari fou de la couleur comme réhabilitation du désir de vivre ensemble. Anri Sala, l’auteur de ce film, s’est installé quant à lui à Paris et y a développé une œuvre très personnelle, fondée sur les rapports de l’espace, de l’image et du son qui lui vaut aujourd’hui de représenter la France à la Biennale de Venise. Un véritable sacre après un parcours qui l’a mené d’institutions en institutions à travers le monde, notamment l’an passé au Centre Pompidou.

Sujets universels 
Né à Tirana en 1974, Anri Sala appartient à la dernière génération d’artistes ayant grandi sous le régime communiste en Albanie et à la première à entrer en contact avec le monde de l’art international. Après avoir fréquenté l’École nationale supérieure des arts décoratifs, à Paris, puis Le Fresnoy, à Tourcoing, et après avoir été naturalisé français, l’artiste n’en a pas moins fait le choix d’aller vivre à Berlin. Question de facilités économiques et d’espaces de travail. C’est dire s’il est de cette nature d’artistes nomades, toujours prompts à s’adapter aux situations qu’ils rencontrent. Si c’est possiblement là le secret d’une ascension qui le porte aujourd’hui à la première place du classement des artistes de la scène française [selon Le Journal des Arts du 10 mai 2013], cela tient d’abord et avant tout à la qualité d’une œuvre singulière en phase avec l’esprit du temps et à l’écho de problématiques qui demeurent universelles, sur le plan tant du contenu que de la forme.

Anri Sala, qui a pratiqué le violon jusqu’à l’âge de onze ans puis a quelque temps hésité entre devenir mathématicien et artiste, compose ses pièces comme un musicien, voire un chorégraphe, sur des bouts de papier qui prennent dès lors l’allure de diagrammes, sinon de figures quasi mathématiques. Il y imagine dans l’espace le placement des éléments sonores et celui de ses projections filmiques, envisageant avec maints détails la déambulation des spectateurs. Il en résulte des images cabalistiques animées de ponctuations, de triangles et de flèches qui ne sont pas sans familiarité avec le dessin hâtivement croqué par Duchamp de la première pensée de son Grand Verre.

Cette similitude d’esprit avec la pensée musicale, qui caractérise sa démarche, n’aurait certes pas déplu à un certain Vassily Kandinsky qui jalousait la musique et enviait l’aisance et la facilité avec lesquelles cet art, le plus immatériel qui soit, parvenait à exprimer l’univers intérieur de l’artiste. La façon qu’a Anri Sala de concevoir ses installations relève d’une subtile réflexion sur la spatialisation sonore dans cet objectif de soumettre le corps du spectateur à l’épreuve émotionnelle et invasive d’une expérience sensorielle. Aussi tous ses efforts visent-ils à orchestrer les relations secrètes que peuvent entretenir l’image et le son.