Entre fondement textuel et support iconographique, Alexandre Singh (né en 1980) propose un brillant travail de construction à la fois visuel et littéraire, à voir à la galerie Art: concept, à Paris.
Frédéric Bonnet : Cette exposition rassemble les portraits imaginés de trois personnalités [Marc-Olivier Wahler, directeur du Palais de Tokyo ; Leah Kelly, neurobiologiste à la Rockefeller University, à New York ; et le dramaturge Alfredo Arias], qui adoptent la forme de diagrammes composés de documents iconographiques. Comment s’est élaboré ce travail ?
Alexandre Singh : Ces œuvres font partie d’une série en cours depuis 2008 intitulée « Assembly Instructions », mélange entre dessin, essai visuel et collage qui, généralement, se fonde sur une idée assez « superficielle », une spéculation. C’est une façon d’extrapoler une idée, de la brouiller, mais d’une manière visuelle. J’utilise pour cela des images de sources très variées. J’aime beaucoup les encyclopédies Time-Life, qui présentent cette vue du monde très années 1950-1960, très optimiste avec cette idée de marche en avant, de découverte à grands pas. Mais j’utilise aussi des gravures anciennes ou des images issues des sites Flickr ou Wikipedia. Je construis les collages en faisant des photocopies, ce qui produit un « aplatissement » des sources. Des images très contemporaines ou du XVIe siècle deviennent noir et blanc, adoptent le même grain. On ne distingue plus ce qui est vrai de ce qui a été manipulé. J’aime créer non pas une fiction mais une nouvelle réalité. Ces œuvres sont ouvertes ; je montre beaucoup d’informations et de liens et le spectateur se crée sa propre histoire.
F. B. : Ces œuvres reposent néanmoins sur une base textuelle…
A. S. : J’ai commencé par faire des conférences où je prenais plusieurs de ces « Assembly Instructions » comme objet. Elles débutaient comme des conférences académiques puis devenaient des récits. Il y avait donc une relation entre l’objet au mur et le discours, mais je ne voulais pas que ce dernier constitue une explication, ni instaurer une hiérarchie entre eux. Ce sont deux manières différentes de créer des problématiques, et ce qui m’intéresse, c’est justement qu’il y ait des problèmes. Ici j’ai voulu faire l’inverse et commencer par créer un texte, qui m’a permis de bifurquer vers d’autres directions.
F. B. : Quel était ce texte ?
A. S. : J’ai été invité par le magazine du Palais de Tokyo, Palais, à faire un numéro composé de sept entretiens que j’ai réalisés puis réécrits en les mettant en scène d’une manière un peu fantasmagorique. Les personnes interviewées ont donné lieu à la création de ces portraits. On s’est parfois demandé si je ne me suis pas moqué d’eux en modifiant un peu leurs paroles, mais n’importe quel entretien, comme celui que nous sommes en train de faire, est une fiction car la rédaction est nécessairement la réécriture de la réalité. Je voulais jouer avec leurs mots, leurs référents, mais aussi rendre hommage à leurs idées en les amplifiant. J’ai voulu clarifier cela dans le texte et également d’une façon très visuelle, avec des images à grande échelle. J’ai un côté un peu « Brazil » [un film de Terry Gilliam, 1985].
F. B. : Comment en êtes-vous venu à l’idée de portrait ?
A. S. : Il me paraissait un peu anachronique, pour un artiste contemporain, de faire du portrait ; non pas dans une manière warholienne, où il s’agit d’un jeu sur le pouvoir, les collectionneurs, etc., mais comme un vrai travail d’investigation. Et j’adore les médiums anachroniques. Pour le choix des personnalités, j’ai été assez intuitif. J’ai commencé par Marc-Olivier Wahler, qui a beaucoup parlé de la magie, ce qui m’a conduit à l’idée du cerveau. Or je connaissais personnellement Leah Kelly. En parlant de mémoire j’ai rencontré Donatien Grau, de l’École normale supérieure, puis Alfredo Arias qui venait de mettre en scène Les Oiseaux d’Aristophane à la Comédie-Française, un auteur dont je suis particulièrement amateur… Chacune de ces œuvres est un petit univers en lui-même. On ne pouvait pas montrer les sept portraits ensemble, j’en ai donc choisi trois.
Jusqu’au 12 novembre, Galerie Art: Concept, 13, rue des Arquebusiers, 75003 Paris, tél. 01 53 60 90 30, www.galerieartconcept.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.
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Alexandre Singh : « J’aime créer une nouvelle réalité »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Alexandre Singh : « J’aime créer une nouvelle réalité »