Art contemporain

Monographie

Alarme radicale

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 13 avril 2010 - 715 mots

À Rochechouart, l’œuvre sans concession de Gustav Metzger maintient la mémoire en alerte et réveille les consciences.

ROCHECHOUART (HAUTE-VIENNE) - Ça accroche, ça râpe, ça dérange, ça secoue… à la manière de ces gouttes d’eau qui jamais ne trouvent le repos, perpétuellement distillées qu’elles sont sur une plaque chauffante en marche (Drop on Hot Plate, 1968-2009). Si le terme « radical », appliqué à une dimension sociale et politique de l’art contemporain, a encore un sens de nos jours, il ne fait nul doute qu’il colle à la peau de Gustav Metzger.

La visite de l’exposition que lui consacre le Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart en atteste à travers un parcours où toujours perce une pleine conscience, sans cesse sur le qui-vive, des dérives et dangers de l’époque, tout en affirmant une indéfectible croyance dans un potentiel intrinsèquement social de l’acte artistique et de l’œuvre d’art. Au début des années 1960, c’est avec la projection d’acide sur des toiles de nylon, conduisant à la destruction rapide et violente du tableau, que l’artiste s’installe comme le héraut d’un art « autodestructif », envisagé comme un outil d’exploration des puissances destructrices de la société… qui par extension questionne les moyens d’y survivre.

Frappante est toujours la raideur de la forme, aussi sèche et directe que le propos. Que l’on s’alarme – dès 1970 ! – de l’urgence écologique qui plane sur nos têtes : une plante verte est enfermée dans un cube de Plexiglas posé sur le toit d’une voiture, avec pour seul orifice un trou relié au pot d’échappement dont les émanations conduisent inévitablement à la mort du végétal (Mobbile, 1970-2010).

À moins que des arbres ne soient plantés, cime la première, dans un bloc de béton, laissant leurs racines ainsi élevées vers le ciel dépérir progressivement (Flailing Trees, 2009). Que l’on s’interroge sur les méfaits du passé : voilà que surgissent sur le mur des fac-similés des lois antijuives éditées par le IIIe Reich en 1939, mais aussi dans le Recueil de sommaires de la jurisprudence française, paru en 1943. Chez Metzger, l’Histoire constitue une obsession, lui qui naquit à Nuremberg en 1926, dans une famille juive polonaise exterminée pendant la guerre. Destruction et survie : les ingrédients de l’œuvre furent très tôt posés.

Lecture entravée
Pour l’artiste, la survie passe par la mémoire nécessaire. De là ses nombreuses Historic Photographs (1995-1998), magnifiquement regroupées sous les combles du château, qui rendent visible en occultant. Dans cette série d’installations, la lecture d’images à la lourde charge historique est entravée par des objets et nécessite souvent un effort physique du visiteur : une image célébrant l’Anschluss oblige à ramper sous un drap pour être vue, une autre du ghetto de Varsovie s’entraperçoit derrière un mur de parpaings…

La mémoire entretient en outre une obsession pour les journaux. Archivés, découpés, relus, afin de ne jamais oublier ce que l’on est, ils donnent lieu à des installations interactives où le public est là encore mis à contribution (Mass Media : Today and Yesterday, 2009). Porté par l’impérieuse nécessité de se préoccuper du caractère sacré de la vie humaine, l’art de Metzger sait aussi se faire « autocréatif » afin d’éviter de s’enfermer sur le seul plan de la critique. Ainsi ses Liquid Crystal Environments (2005-2009), réjouissantes projections murales où des cristaux contenus entre deux plaques de verre évoluent pour générer des formes et des couleurs.

Pendante est tout au long de la visite la question de savoir pourquoi Metzger, à travers son radicalisme exacerbé, est-il devenu artiste et non militant révolutionnaire ? Une croyance sans faille dans le pouvoir de l’art constitue un élément de réponse, chez celui qui déclarait : « [La guerre] a fait ce que je suis devenu, un artiste qui ne peut pas accepter les choses telles qu’elles sont, un artiste qui veut utiliser toute sa vie, y compris son art, pour changer le monde, pour changer la société. » Utopique certes, cette déclaration n’est pas restée que des mots. Elle est traduite dans des actes aussi sonores que des alarmes.

GUSTAV METZGER : DECENNIES 1959-2009, jusqu’au 15 juin, Musée départemental d’art contemporain, place du Château, 87600 Rochechouart, tél. 05 55 03 77 91, www.musee-rochechouart.com, tlj sauf mardi 10h-12h30 et 13h30-18h.

Catalogue, coéd. Koenig Book et Serpentine Gallery, 112 p., 34 euros, ISBN 978-3-8656-0690-7

GUSTAVE METZGER

Commissaire : Olivier Michelon, directeur du musée

Nombre d’œuvres : environ 20 p Exposition d’intérêt national

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°323 du 16 avril 2010, avec le titre suivant : Alarme radicale

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