PARIS
Le chef d’entreprise est un collectionneur d’art contemporain dont la rencontre avec César a signé la création de la Fondation Cartier. L’institution fête aujourd’hui ses 30 ans.
La photo a jauni avec le temps, la lumière du jour est si franche en ce dernier étage ouvrant sur tout Paris. À la sortie de l’ascenseur, un bref coup d’œil posé sur celle-ci permet d’identifier Alain Dominique Perrin, jeune, beau garçon, le sourire éclatant, au côté d’un homme plus âgé, plus en retenue dans son expression complice. « Robert Hocq », vous dit-on. Robert Hocq, l’ancien président de Cartier Paris auprès duquel il orchestra la renaissance du joaillier et révolutionna l’univers du luxe en lançant, au début des années 1970, la ligne des « Must » ; « mon père spirituel », précisera l’instant suivant Alain Dominique Perrin dans son bureau installé à la Fondation Cartier, où œuvres et photographies de famille, de proches, d’amis aux visages célèbres se répondent en écho. Celle de César en particulier, « le frère, à l’origine de la Fondation Cartier ». Entre ces murs signés Jean Nouvel, « l’ami intime, admiré par la dimension de son talent », se déplie généreusement le monde affectif de son président au franc-parler et à l’autorité aussi connus que son énergie et sa fidélité.
En ce début mai, la Fondation Cartier entame la célébration de ses 30 ans et son créateur ne cache pas sa fierté qu’elle soit devenue une institution après des débuts battus froid par le milieu de l’art. « C’est un travail d’équipe, souligne-t-il. J’ai eu la chance de recruter Marie-Claude Beaud et Hervé Chandès [à la direction successivement de la Fondation]. » Et, dans la foulée, Alain Dominique Perrin de mentionner les quatre conservatrices « formidables » de la Fondation, ainsi que, à la direction de la communication et du développement, de sa fille Sonia, avant de conclure : « Le casting est bon. »
Marie-Claude Beaud, aujourd’hui directrice du Nouveau Musée national de Monaco, l’affirme : « Alain aime former les équipes, les emmener loin. Cela a marché avec Cartier, Richmont et la Fondation. » Au Jeu de paume aussi, institution qu’il préside depuis sa refonte en 2004 et dont les directeurs successifs, Régis Durand puis Marta Gili, ne sont pas des inconnus pour lui. Régis Durand a été directeur artistique du Printemps de Cahors, festival créé par sa première épouse, Marie-Thérèse Perrin, dite « Mathé » ; et Marta Gili, directrice artistique des éditions 2002/2003 de ce festival de photographie et d’art contemporain. « Alain Dominique Perrin aime travailler avec les gens qu’il connaît, où qu’il a vu fonctionner », confirme Hervé Chandès, directeur depuis vingt ans de la Fondation après neuf années passées auparavant à Jouy-en-Josas auprès de Marie-Claude Beaud, sa première directrice pendant dix ans, jusqu’au déménagement à Paris en 1994. « Nombre de personnes qui ont occupé des postes à la Fondation ont évolué ensuite dans le groupe Cartier ou Richmont. Et vice versa. Le président de Van Cleef & Arpels a par exemple commencé sa carrière à la Fondation. M. Perrin aide les gens à évoluer. Chacun participe à la construction de la maison et s’y construit, s’y épanouit. Ce principe de réciprocité est fondamental chez lui. »
Rôle essentiel au Jeu de paume
Régis Durand, premier directeur du Jeu de paume nouvelle formule, se souvient du rôle essentiel qu’il a joué dix ans plus tôt lorsque Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, l’a nommé à la présidence du Jeu de paume, refonte de trois entités distinctes dédiées à la photographie après que Jean-Jacques Aillagon, son prédécesseur Rue de Valois, eut décidé de couper court à l’histoire propre menée en ces lieux par Daniel Abadie. L’héritage était compliqué – assurer la fusion de trois institutions au statut différent –, le bâtiment en piteux état et la moitié de son financement à assurer désormais en ressources propres tout en gardant le personnel.
« Durant ces années, il a été essentiel ; nous allions sinon à la catastrophe. Il a défendu contre vents et marées les missions et les financements de l’institution, amené les mécènes. » Et Régis Durand d’évoquer sa loyauté, sa capacité de travail exceptionnelle, à l’instar de ceux qui ont collaboré ou collaborent avec lui. « Il ne se défausse jamais. » Marta Gili, formée par Alain Dominique Perrin à l’administratif, aux relations humaines et au mécénat lors de sa nomination à la tête de l’institution, rappelle à cet égard le rôle fondamental qu’il a joué lors de la controverse et les menaces de mort et d’attentats qu’a déclenchées l’exposition de la Palestienne Ahlam Shlibli (lire le JdA no 394, 21 juin 2013). « Face au ministère qui avait demandé de fermer l’exposition, il a organisé un vote du personnel pour savoir si celle-ci devait être poursuivie ou non : 80 % ont voté pour. Il a défendu cette position Rue de Valois. Le Jeu de paume est resté ouvert. »
« Alain ne travaille pas pour lui ni pour son ego, mais pour l’histoire qu’il met en place. Il sait déléguer, être là quand il faut. Lorsqu’il fait confiance et qu’on ne le déçoit pas, il est d’une fidélité, d’une attention que j’ai rarement rencontrées », confie Marie-Claude Beaud, qui, bien que démissionnaire en 1994, siège toujours au conseil d’administration et au comité d’acquisition, à l’instar de Régis Durand et de Jean de Loisy, ancien conservateur à la Fondation Cartier.
À la Fondation Cartier ou au Jeu de paume, Alain Dominique Perrin est un président extrêmement présent et attentif au fonctionnement, à la gestion, à la fréquentation des espaces aussi bien qu’à l’itinérance des expositions et à la programmation – ceci « sans jamais rien avoir interdit ni jamais été négatif sur les propositions, ni annulé une commande », ajoutent en chœur leurs différents directeurs. Si ce n’est une fois, durant les années Jouy-en-Josas, avec Jeff Wall dont il annula l’exposition après que la Fondation dut la reporter une première puis une seconde fois, l’artiste canadien n’ayant été pas davantage prêt un an plus tard, à la date qu’il avait lui-même fixée.
Hyperactif
À 72 ans, Alain Dominique Perrin continue de mener tout de front. Onze ans après avoir quitté la direction générale du groupe Richemont, il continue de siéger au conseil d’administration de la holding et préside le comité stratégique chargé de la création de toutes les marques du groupe. Voile, vin de son domaine du château Lagrézette (ses deux autres passions avec l’art contemporain), chasse et pêche forment un autre jeu de ses multiples activités qui noircissent son agenda. Sa dernière entreprise, une gamme de campings version éco-lodge de luxe, prospère de son côté. Le camping dans l’histoire entrepreneuriale d’Alain Dominique Perrin est à l’image de la manière dont il vit. Tout a débuté sur l’île de Noirmoutier, territoire lié à l’enfance, à la demeure de vacances familiale située au pied des dunes et au camping qu’il promettait alors à sa mère d’acheter. En 2008, sur demande du maire, il en reprenait la concession, lançait son concept de camping écolo et fait du même coup plaisir à son amie Agnès Varda, résidant au moulin voisin de sa propriété.
On est très loin de l’art contemporain, mais Alain Dominique Perrin n’a jamais fait un seul métier dans sa vie, ni fréquenté un seul milieu, ni vécu dans un seul endroit. Quand il était étudiant, il était antiquaire et continua à l’être pendant ses dix premières années chez Cartier, avant de revendre ses magasins du Louvre des Antiquaires. Dans la famille Perrin, nantaise du côté son père, ancien directeur général des chantiers Dubigeon, corse du côté de sa mère, on a rapidement compris que cet hyperactif, formé à l’esprit d’équipe du rugby, tracerait sa propre voie.
Fidélité aux artistes
« J’ai besoin d’entreprendre », plaide Alain Dominique Perrin, et cela va avec « le fait que je suis un collectionneur de beaucoup de choses : de bagnoles, de Haute Époque, d’art contemporain, de bouquins. » C’est la rencontre avec César qui l’a amené à l’art contemporain, avant Mathé « très branchée photo », mentionne-t-il, « mais la personne qui m’a le plus influencé, c’est Marie-Claude Beaud ». « J’ai toujours appris des autres et eu besoin de vivre avec des œuvres. Aujourd’hui, plus personne ne m’influence. Quand j’aime les gens je les collectionne, mais quand un artiste que je rencontre me déçoit, je revends ce que j’ai de lui en totalité ou en partie » – ce fut le cas pour Arman.
Dans son bureau trône une pièce de Markus Raetz achetée avec Marie-Claude Beaud quand il n’était pas connu avant qu’il ne collectionne à son tour l’artiste suisse. « J’ai une vingtaine de pièces », précise-t-il. Sa collection diffère cependant totalement de celle de la Fondation Cartier : « Rare sont les artistes que nous avons en commun, mais j’ai un Basquiat, deux Joan Mitchell qu’ils n’ont pas. » L’étanchéité entre les deux est totale depuis le début, bien que la collection constituée au fur et à mesure des commandes passées pour les expositions ait été placée elle aussi dès le début sous le signe de la fidélité à des artistes, à la revente aussi de certaines pièces pour en acheter d’autres.
Ne rien s’interdire quand cela est nécessaire ou quand on est arrivé à une impasse est un autre grand principe directeur chez Alain Dominique Perrin. Ne pas s’interdire par exemple d’examiner d’autres solutions pour permettre le développement de la Fondation Cartier, si le 16 mai prochain, la réunion avec la Mairie de Paris pour examiner son projet d’extension sur la partie sud de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul mitoyen n’aboutit pas.
1942 : Naissance à Nantes.
1969 : Attaché commercial de la société Briquet Cartier.
1970 : Directeur de Briquet Cartier.
1976 : P.-D.G. des « Must » de Cartier.
1981 : Président de Cartier.
1984 : Création de la Fondation Cartier pour l’art contemporain.
1986 : Auteur du rapport « Mécénat français », base de la loi Léotard de juillet 1987.
1999 : Directeur général du groupe Richemont (jusqu’en 2003).
2004 : Président du Jeu de paume.
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Alain Dominique Perrin : fondateur et président de la Fondation Cartier pour l’art contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°413 du 9 mai 2014, avec le titre suivant : Alain Dominique Perrin : fondateur et président de la Fondation Cartier pour l’art contemporain