Alain de Monbrison, marchand d’art primitif

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 2 décembre 2005 - 1486 mots

Pilier du commerce parisien des arts primitifs, Alain de Monbrison jouit d’une notoriété sans entailles. Portrait d’un joueur aux allures de force tranquille.

Visage de bouddha malicieux et langue tout en litote. On ne devinerait pas, derrière les manières « vieille France » d’Alain de Monbrison, le tempérament d’un joueur. Ce marchand d’art primitif est pourtant capable de miser gros pour décrocher un objet. S’il aime la rapidité du gin, il a aussi la patience du joueur de go. Celui de l’écrivain Yasunari Kawabata avait dilaté un tournoi sur six mois. Monbrison a pour sa part courtisé pendant quinze ans l’ancien marchand Claude Vérité pour décrocher sa collection, qu’il dispersera en juin prochain avec l’expert Pierre Amrouche. À cette puissance de feu s’ajoute une probité exemplaire, dans un milieu où peu de réputations résistent au scalpel. « Il fait du bien au marché en France. C’est un moteur », remarque le marchand d’art océanien Anthony Meyer. Respecté par la profession, il a moins d’ennemis que de jaloux. Une jalousie que cultive sa morgue apparente de fils de bonne famille. « Il y a lui et les autres », grimace un confrère. « Il paraît que j’intimide », admet benoîtement l’intéressé.

Issu d’une famille de collectionneurs, Alain de Monbrison étudie les civilisations mésopotamienne et égyptienne à l’École du Louvre. « L’archéologie lui a donné le sens de la matière, de la pierre, mais aussi du fragment qui permet de reconstituer une histoire. Alain a la faculté de reconnaître immédiatement les qualités d’un objet », indique Pierre Amrouche. Il fera ses armes en 1971 avec son frère Marc dans la galerie d’art primitif de leur mère, Simone. Neuf ans plus tard, la fratrie s’affranchit d’une mère au caractère bien trempé pour s’établir rue des Beaux-Arts à Paris.

Monbrison a eu la chance de débuter à un moment où la manne, aiguillée vers l’Occident dans la foulée des décolonisations, est abondante. Ses relations avec le continent noir semblent toutefois un brin distantes. « Alain est un pur Français qui vit entre sa propriété de Normandie et Paris. Je l’ai rencontré à Abidjan, mais il n’est pas dans son élément. Ce n’est pas un aventurier », constate le collectionneur suisse Jean-Paul Barbier. « J’allais de temps en temps en Afrique, mais pas très souvent, reconnaît Monbrison. C’est un autre travail, ça prend du temps. On voit une masse d’objets avec beaucoup d’horreurs. Les négociations sont longues. On ne peut pas et passer son temps en Afrique et s’occuper des collectionneurs internationaux. » Il s’était cependant associé pendant quatre ans au marchand Olivier Klejman pour collecter des objets en Zambie.

« Label Monbrison »
Bien qu’il ait un regard universel, brassant de l’art africain et de l’art océanien en passant par celui des Cyclades, ses confrères voient plutôt en lui la griffe du commercial que de l’esthète. Certains regrettent qu’il se fourvoie dans des objets certes authentiques mais indignes de son standing. « Fondamentalement, il aime plus les affaires que les objets. Il aime jouer et gagner. C’est un très bon vendeur, habile commerçant, ce qui est d’ailleurs une grande qualité », remarque un confrère belge. D’autres lui reprochent de ronronner dans des travées classiques, bien labellisées. « C’est un bon marchand,mais pas un découvreur. Il ne fera pas d’expositions risquées », estime sa consœur Hélène Leloup. Directeur du Musée du quai Branly à Paris, Stéphane Martin défend pour sa part que Monbrison « n’a pas peur de s’intéresser aux choses classiques. Il est quelque part plus facile de chercher la séduction avec des ethnies moins connues, qui peuvent attirer car les œuvres sont atypiques. C’est plus difficile de surprendre avec une belle commode Louis XV qu’avec un jeune artiste. Lui a le courage et l’œil nécessaire pour vendre de belles choses classiques plutôt que jouer sur l’inédit. Sur dix baoulé a priori identiques, il sait reconnaître la meilleure ». Parmi les pièces importantes ayant transité par ses mains, on relève une tête fang qui a appartenu à Helena Rubinstein. Achetée par sa mère en 1966, elle fut aussitôt revendue. Monbrison réitérera la même opération en 1978. « Voilà trois ans, j’ai voulu la racheter, mais son propriétaire n’était pas ému par les millions de dollars que je proposais », rappelle-t-il avec humour.

Son refus de faire l’article est une des clés de voûte de ses relations avec les collectionneurs. « C’est
l’un des rares marchands que je connaisse qui ne vous court pas après, précise Jean-Paul Barbier. On ne se sent jamais obligé d’acheter une chose quand on va chez lui.

Sa grande force, c’est que ce sont les acheteurs qui décident. Il fait passer sa réputation et les affaires qu’il fera plus tard avant un coup. Il n’invente pas des histoires fumeuses. Alain ne ment ni à ses collectionneurs ni à lui-même. » Et il n’est pas plus du genre à « copiner » avec ses clients. « On est là, on regarde les objets. Je n’ai pas envie qu’on me tape dans le dos. Je choisis la personne qui me tape dans le dos », explique Monbrison. Assumant jusqu’au bout la paternité d’un objet, il est toujours prêt à le reprendre en cas de contentieux. Le fait qu’il se garde d’être collectionneur lui est aussi profitable.

Les tarifs pratiqués par le marchand sont réputés prohibitifs. Est-il du genre à inventer un prix, un « label Monbrison » comme on parlait autrefois de « qualité Ratton » ? « Il n’y a pas de marchands chers ou pas chers, il y a des sérieux et des pas sérieux.

Monbrison n’essaie pas de fabriquer des prix, de faire des cotes artificielles », défend Stéphane Martin. « Je ne suis pas sûr qu’un collectionneur dirait que je suis cher, déclare placidement l’intéressé. Pour faire sortir un objet, je suis prêt à le payer cher. Ce qui m’a permis de sortir beaucoup de choses. Je donne un prix qui estomaque, sans cela je ne l’aurais pas et ça finirait en vente publique. »

Des ventes publiques, Alain de Monbrison a commencé à en organiser lui-même en 1988, par pragmatisme, pour éviter que le marché ne se déplace à l’étranger. S’enchaînent alors quelques dispersions célèbres sous le marteau de Guy Loudmer puis de François de Ricqlès, avant une brève échappée avec Christie’s. Certains prétendent que le marchand se serait approprié une collection belge pour laquelle l’écurie de François Pinault l’avait mandé. Une rumeur vipérine que dément farouchement François de Ricqlès, aujourd’hui vice-président du directoire de Christie’s France. Monbrison parle à présent de réduire la cadence et de se limiter à une ou deux vacations annuelles. « Si les ventes sont importantes en valeur et en qualité, je le ferai. Sinon, non, confie-t-il. Un objet à 3 000 euros prend autant de temps qu’un à 100 000 euros, et la responsabilité est aussi grande. » « Il dit toujours cela », observe sans trop y croire son associé Pierre Amrouche. Le duo adoptera sans doute à l’avenir une démarche proche de celle de la famille Camard, se libérant de la tutelle des commissaires-priseurs pour être maître du jeu.

Regard blasé
Alain de Monbrison est également souvent sollicité pour donner son avis dans les litiges. Une tâche qui lui vaut quelques inimitiés. « Il a la réputation de casser systématiquement les objets qui ne viennent pas de chez lui, par une petite pique subtile, l’air de pas y toucher », murmure un confrère. « C’est faux. Je ne démolis pas, car ça peut dégoûter le collectionneur, qui en viendrait à douter de son propre goût, riposte Monbrison. Par contre, je suis amené à faire beaucoup d’expertises. Je comprends que parfois je dérange. Quand on m’apporte un objet avec dix expertises, on peut s’interroger. Un bon objet n’a besoin de rien. »

En intégrant depuis quatre ans sa fille Sarah à la galerie, il semble mieux gérer sa relève que bon nombre de marchands. Passera-t-il pour autant facilement le relais à sa descendance ? « C’est un libéral. Il laisse les gens vivre leur vie. Il va observer mais n’interviendra pas. Il laisse aux gens la liberté de réussir ou pas », souligne Pierre Amrouche.

Alain de Monbrison a aujourd’hui le regard blasé de celui qui a roulé sa bosse tout en guettant du coin
de l’œil la nouvelle aventure.  « En ayant vu beaucoup de pièces, est-ce que je ne deviendrais pas plus difficile ?, s’interroge-t-il. Pour avoir une émotion, c’est plus compliqué. J’ai vu des wagons de fang, punu, baoulé. Je les trouve toujours beaux, mais ils me surprennent moins. » Car ce qui l’excite, c’est la trouvaille… et la vente !

Alain de Monbrison en dates

1947 Naissance à Paris.

1980 Ouverture de la galerie Monbrison rue des Beaux-Arts.

1988 Première vente publique.

1995 Expert dans la vente de la collection Pierre Harter.

2001 Expert dans la vente de la collection Hubert Goldet.

2006 Expert dans la vente de la collection Pierre et Claude Vérité.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°226 du 2 décembre 2005, avec le titre suivant : Alain de Monbrison, marchand d’art primitif

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